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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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était persuadé que dans d’autres circonstances, le Peau-Rouge l’aurait suivi. Comme un chiot égaré. Charging Elk. Qu’est-ce que ce nom pouvait signifier ?
    Plongé dans ses souvenirs, il ne sentit pas la main qui lui effleurait le dos. Il rechaussa ses lunettes, s’étudia un instant dans la glace, craignant qu’on eût remarqué son malaise et son étrange comportement, et surprit le visage rond d’Olivier qui le considérait d’un air inquiet. Ainsi, on s’en était aperçu ! Furieux, il lança sans se retourner : « Qu’est-ce que vous voulez, Olivier ? »
    Celui-ci se recula d’un pas. « Juste vous dire bonsoir, Armand, bégaya-t-il. Prendre des nouvelles de votre santé, cher ami.
    — Je me porte à merveille et je ne suis pas particulièrement de bonne humeur.
    — Mais que faites-vous là ? » Olivier balaya la pièce d’un geste du bras. « En temps normal, vous ne vous attardez pas au bar.
    — Ce soir, rien n’est normal. Un représentant qui désirait me vendre des couteaux et baiser vos filles en même temps m’a posé un lapin. Vous vous rendez compte ? » Breteuil, bien sûr, faisait référence au lapin.
    Olivier comprit différemment : « On peut vendre et on peut baiser, mais pas en même temps. Il y a un lieu et un temps pour tout, seulement il faut faire preuve d’un peu de discernement. »
    Breteuil pivota et considéra d’un air méprisant le petit homme pathétique avec sa chemise froissée, ses effluves de parfum de luxe, ses cheveux clairsemés plaqués sur son crâne et sa fine moustache. Il n’arrivait pas à croire qu’ils aient pu autrefois être amants. Il était pauvre alors et Olivier était amoureux de lui. Il semblait d’ailleurs l’être toujours. Cette pensée lui remonta un peu le moral. « Et pour vous, Olivier, les affaires vont bien ? demanda-t-il.
    — Constatez vous-même, Armand. Mes filles sont les plus jolies de la ville. » Il sourit à Breteuil, moustache frémissante. « Et mes garçons ne sont pas mal non plus, n’est-ce pas ? »
    Le restaurateur éprouva une brusque bouffée de haine. Même s’ils aimaient tous deux les garçons, Olivier n’était qu’un banal pédéraste, alors que lui, Breteuil, était capable d’un amour plus pur, plus noble, plus conforme à son tempérament d’artiste. Il regardait les six francs qu’il payait pour Miguel davantage comme une manifestation de sa largesse que comme le prix d’un amour tarifé. Il savait en outre qu’il n’avait pas le temps de chercher par lui-même : il passait six jours par semaine à son restaurant, se levait aux aurores pour acheter le poisson, la viande et les légumes, puis se mettait aux fourneaux jusque vers onze heures du soir. Il ne dormait guère plus de quatre ou cinq heures par nuit. Il aurait peut-être aimé avoir quelqu’un auprès de lui toute la journée du lundi, son jour de fermeture, mais finalement, il préférait consacrer son temps à se promener, à lire et à rattraper son sommeil en retard. Bien que son restaurant marchât à merveille – le représentant en coutellerie avait promis de lui apporter un article du Figaro qui présentait « La Petite Nani » (baptisé ainsi d’après sa grand-mère) comme la meilleure table de toute la Provence – Breteuil n’était pas heureux. Depuis peu, il ne cessait de crier après son aide-cuisinier et son maître d’hôtel, et même après ses serveurs. Il contrôlait tout, et c’était grâce à cela que son établissement était le meilleur. Il faudrait pourtant qu’il ralentisse, qu’il soit un peu moins tendu, sinon il risquait que quelque chose explose en lui. Déjà, ces trois dernières semaines, il s’était senti comme rongé de l’intérieur, sujet à des espèces de brûlures qui lui rendaient difficile de seulement goûter ses propres plats.
    Il soupira, puis réussit à sourire à Olivier. « J’ai remarqué une de vos filles tout à l’heure, plutôt trapue, les cheveux bruns, déshabillé bleu. Elle était avec un homme il y a un instant. Elle me rappelle quelqu’un. »
    Le tenancier jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Il y avait une trentaine d’hommes et six ou sept filles dans la salle. Au total, il employait douze filles, et en ce samedi soir, elles travaillaient toutes. Soudain, son regard s’éclaira. Il était ravi de rendre service à Breteuil. « Ah oui, je vois. Marie. Pas très distinguée, mais saine. Il y a des hommes qui aiment

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