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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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camée, si bien que le portefeuille dans le sac marin était vide. Quant à son rêve de revoir un jour son pays et son peuple, il devenait de plus en plus lointain. Certes, il pensait assez souvent à ses parents, à sa mère qui devait broder des perles ou se tenir devant son poêle de fonte, à son père qui prenait peut-être le soleil en compagnie des autres hommes, à moins qu’il ne chevauche Grand Coureur pour le seul plaisir. Il pensait aussi à Strikes Plenty qui devait maintenant planter des pommes de terre, entouré de ses enfants – il avait cependant du mal à se représenter son kola marié à une femme de sa tribu, vivant dans son propre pays et regardant tous les matins se lever le même soleil sur les mêmes animaux, veillé par les distantes et fidèles Paha Sapa. Il songeait à tout cela et à son peuple, mais à chaque fois, son cauchemar venait se glisser parmi ces images et le glaçait d’horreur.
    Le cauchemar aurait dû l’inciter à tout faire pour essayer de rentrer chez lui afin de savoir s’il reflétait la réalité. Dans ce cas, ce serait une catastrophe inconcevable. Tu es mon seul fils. À qui appartenait cette voix ? À Bird Tail ? À son père ? Ces derniers temps, après qu’il avait une nuit rêvé de Crazy Horse, il avait commencé à croire que le chef de guerre l’avait contacté depuis le monde réel. Scrub, son père, lui avait appris que Crazy Horse, déjà avant sa mort, vivait dans le monde des rêves et des visions. Peut-être que le vent qui l’avait empêché de sauter provenait lui aussi du monde réel, et ne voulait pas le laisser rejoindre son peuple, ses ancêtres. Tu es mon seul fils. Aujourd’hui encore, la voix et le vent lui faisaient passer des frissons dans le dos, comme pour le mettre en garde contre la vie indigne qu’il menait.
    Charging Elk possédait néanmoins un antidote à son cauchemar : il se contraignait à penser à Marie. Il ne savait toujours pas grand-chose à son sujet, sinon qu’elle travaillait dans la maison close depuis trois ans et qu’elle était originaire d’un petit village non loin de Marseille. En revanche, il connaissait son corps et il connaissait ses yeux, la manière dont ils s’illuminaient quand il arrivait ou qu’il lui offrait un cadeau, puis dont ils s’assombrissaient quand elle s’installait à côté de lui dans le salon, observant la foule des hommes qui tournaient autour des filles ou se groupaient autour du piano pour chanter. Il savait qu’elle n’aimait pas être parmi eux, même si cela faisait partie de ses obligations. Le jeune Indien quittait toujours l’établissement après être monté avec elle, car il ne voulait pas être témoin de sa détresse. Et, tandis qu’il regagnait le quartier du Panier, il éprouvait un sentiment de frustration qui se muait petit à petit en colère confuse.
    Pourquoi restait-elle dans cette maison ? Il ne parvenait pas à le comprendre. En réalité, il était surtout furieux contre lui-même, parce qu’il n’avait pas le courage de lui proposer de venir vivre avec lui, dans son appartement. Par ailleurs, il avait honte de ne pas oser lui demander de sortir se promener ou aller au café avec lui. Il connaissait les mots nécessaires pour formuler sa requête, mais il n’avait pas le cran de les prononcer. Depuis son départ du Bastion, il était devenu lâche. Il n’aimait guère se rappeler que, encore adolescent, il avait provoqué les mineurs dans les Black Hills, les avait volés, s’était glissé la nuit à Pine Ridge pour voir ses parents alors qu’il n’ignorait pas que si les wasichus l’attrapaient, ils l’enverraient au loin. Rien de tout cela ne l’effrayait à l’époque. Il vivait comme il se figurait que vivaient autrefois les Oglalas, sans crainte, prêt à courir tous les risques au nom de l’aventure. Et aujourd’hui, il avait peur du plus insignifiant des obstacles placé en travers de son chemin.
    Il laça ses chaussures marron, puis il se leva et mit la veste de son costume fraîchement repassée. Il rectifia sa coiffure devant la glace. Depuis peu, il se faisait une espèce de chignon qu’il attachait à l’aide d’un ruban bleu, lequel ressemblait beaucoup à celui du camée. À peine entrée dans sa chambre, Marie prenait le bijou dans le tiroir de la commode et le passait autour de son cou. Le fait que tous deux portent un ruban bleu paraissait étrangement les exciter. Charging Elk se remémorait toujours avec

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