À La Grâce De Marseille
étonnement comment elle se tortillait sous lui et prononçait dans un murmure des paroles sans suite, lui enserrant les flancs de ses cuisses, jusqu’à ce qu’elle entame cette sorte de mélopée qui allait crescendo et le poussait à accélérer la cadence avant qu’il ne s’écroule sur elle, épuisé et défaillant de plaisir.
Comme il était en avance pour son rendez-vous avec Marie et que la soirée était douce en ce début avril, le mois de la lune-de-l’herbe-rouge-qui-pointe, Charging Elk s’arrêta au Royal boire une anisette. Il n’y était pas allé depuis plusieurs lunes – depuis les grosses chaleurs de l’été –, et il avait envie de voir le vieux garçon de café ou, plutôt, envie de se faire voir de lui avec son complet et sa nouvelle coiffure.
Mais ce fut un jeune serveur aux cheveux noirs calamistrés séparés par une raie au milieu et à la fine moustache aux pointes frisées selon la dernière mode qui vint prendre sa commande. L’homme considéra d’un air perplexe ce client à la carrure imposante et à la peau très brune vêtu d’un costume impeccable et d’une chemise blanche au col amidonné. Il ne comprit pas tout de suite ce que Charging Elk lui demandait.
L’Indien répéta du plus distinctement qu’il put : « Votre prédécesseur, le vieux garçon, mon ami.
— Ah, Lachaisse, vous voulez dire. » Le serveur posa l’ani-sette devant Charging Elk. « Il est parti depuis longtemps.
— Où ?
— Il paraîtrait qu’il habite maintenant chez sa sœur à Arles ou à Nîmes. Depuis l’automne dernier. » Il arracha de son carnet une feuille sur laquelle était inscrit le montant à payer. « C’était vraiment un ami à vous ? »
Charging Elk se tourna et regarda un instant les bateaux ancrés dans le port. Avec le retour de la chaleur, les relents d’ordures auxquels se mêlait l’odeur saline de la mer étaient déjà forts. Il n’avait jamais su le nom du vieux serveur. « Oui, un vieil ami », répondit-il, regrettant d’être passé au Royal.
Au début, Breteuil se sentit surtout choqué. Il n’avait pas l’habitude de fréquenter le bar du Salon. Il détestait les hommes qui venaient ici mais, comble de l’ironie, c’étaient ces mêmes hommes qui faisaient de son restaurant le plus huppé de Marseille. Breteuil, néanmoins, arrogant comme il l’était, se considérait différent de ses clients, membres pour la plupart de la haute bourgeoisie – inférieur par son éducation, mais supérieur par ses manières. C’était le genre d’hommes qui buvaient trop de vin et qui considéraient ses plats comme de la simple nourriture de paysan, tout juste destinée à les caler afin de leur permettre d’ingurgiter de nouveaux verres. Bien sûr, étant toujours complet, il avait aussi des clients qui devaient patienter un mois ou davantage pour rendre hommage à sa créativité. Ceux-là, il venait les saluer quand, à la fin des repas, il sortait de sa cuisine, à peine décoiffé, pour faire le tour des tables. Les porcs du genre de ceux qui se bousculaient à présent au bar, il leur adressait à peine la parole. D’ordinaire, il se rendait directement au petit salon de derrière où l’attendait le beau Miguel, un jeune Espagnol qui acceptait avec empressement ses manifestations d’affection. Aujourd’hui, il avait rendez-vous avec un représentant en coutellerie parisien qui avait insisté pour le retrouver ici, désirant ainsi faire d’une pierre deux coups.
L’homme de haute taille à l’allure exotique et à la peau très foncée assis à côté de la putain aux cheveux bruns l’intriguait. Il lui disait quelque chose. Serait-ce un amuseur public ? Un hercule de foire ? Ou un comédien peut-être ? Il possédait une sorte de beauté sauvage, un peu effrayante. Breteuil était maintenant sûr d’avoir déjà vu ce visage – ces yeux bridés, ces pommettes saillantes, ces lèvres minces qui s’étiraient sur un léger sourire pendant que la putain lui parlait. Qu’est-ce qu’il pouvait bien fabriquer ici ? Le restaurateur promena son regard autour de lui. Hormis un homme roux à la peau claire et le beau travesti aux cheveux blonds coupés courts, tous les hommes se ressemblaient : barbus ou moustachus, impeccablement vêtus, jeunes ou vieux, ils se ressemblaient tous. Il reconnut même un juge, un petit pète-sec qui organisait souvent de grands déjeuners à son restaurant, ainsi qu’un marquis qui avait vendu
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