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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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avec précaution sur le banc. Il tira son mouchoir et épongea la sueur qui perlait sur son front et sa lèvre supérieure. Il jeta un coup d’œil vers la porte par laquelle ils étaient entrés. Elle s’était refermée, et il se sentit soudain pris au piège dans cette vaste salle à l’atmosphère confinée.
    La main de Madeleine se posa sur la sienne : « Ça va, René ?
    — J’ai juste un peu chaud, c’est tout.
    — Tu as la main qui tremble.
    — Je ne pensais pas que c’était si grand, et tous ces gens…» À cet instant, il remarqua en dessous d’eux une petite plate-forme ovale ressemblant un peu à une chaire. Elle était entourée d’une balustrade et il y avait une chaise au milieu. René oublia d’un seul coup sa gêne et contempla avec tendresse l’homme assis là. « Madeleine », chuchota-t-il, comme étourdi. Sa femme se tourna vers lui, puis suivit la direction de son regard.
    « Mon Dieu, s’exclama-t-elle d’une voix étouffée. Il a l’air encore si jeune. »
    Ils restèrent un moment silencieux, détaillant les longs cheveux noirs, le visage au teint cuivré, les yeux étrécis et les ombres projetées par les pommettes saillantes. Ils étaient à moins de sept mètres de Charging Elk.
    René se pencha au-dessus de la rampe et lança du plus fort qu’il osa : « Psst, Charging Elk, mon ami. »
    L’Indien regarda autour de lui mais ne leva pas les yeux.
    « Psst, par ici. »
    Un gendarme apparut soudain sous le balcon et René se recula.
    À cet instant, un huissier debout à côté de la porte demanda au public de se lever et les murmures cessèrent cependant que les gens s’exécutaient. Trois hommes âgés en robes rouges, plastrons blancs et coiffés de toques vinrent prendre place sur l’estrade richement décorée au-dessus du sceau de la République française. Chacun d’eux serrait sous son bras une serviette et, tandis qu’ils s’installaient dans les hauts fauteuils de velours rouge, celui qui était au milieu regarda alternativement d’un côté puis de l’autre. Les autres magistrats hochèrent la tête et le président, un homme austère portant des lunettes et une barbe blanche, annonça l’ouverture de la session de la cour d’assises de la République. Il avertit le public qu’il devait se dispenser de manifester, puis il enjoignit au procureur général et à l’avocat de l’accusé de s’en tenir « au sujet ». Il ajouta que lui-même se réservait le droit d’interroger non seulement l’accusé, mais aussi son défenseur et le procureur général. Il s’adressa ensuite aux membres du jury, leur recommandant de juger en leur âme et conscience, de ne pas parler du déroulement du procès en dehors de l’enceinte du tribunal et enfin, de prononcer leur verdict en se fondant uniquement sur les preuves apportées devant la cour. Après quoi, il adressa un signe de tête au procureur qui conférait avec l’un de ses assistants. Le procureur, un homme massif au teint rubicond et aux épais favoris blancs dont le ventre proéminent tendait sa robe au-dessus du bout de ses chaussures vernies, se leva et, après avoir salué les magistrats, entama son réquisitoire.
    René et Madeleine, comme hypnotisés, écoutèrent le procureur général accuser Charging Elk du crime le plus atroce qu’il eût rencontré au cours des dix-neuf années qu’il officiait en tant que représentant du ministère public. Il appuyait ses paroles en tapant du poing sur la barre devant lui et en montrant du doigt l’accusé qui, disait-il, n’était pas seulement un immigrant clandestin, mais également un sauvage qui ne comprendrait jamais les règles et les obligations d’une société civilisée. Il cita des poètes et des peintres, des compositeurs et des sculpteurs, des hommes politiques et des prêtres, terminant par les grands chefs cuisiniers français, dont l’un venait d’être assassiné de sang-froid par un criminel incapable de faire la différence entre un gigot et une noisette d’agneau. « Et pourquoi, poursuivit-il en postillonnant, a-t-il choisi d’habiter le Panier, ce quartier de tire-laine, de meurtriers et de trafiquants de drogue ? Celui que vous avez devant vous n’est pas un simple vagabond ou un pauvre enfant de la nature comme certains aimeraient nous le laisser accroire. Il est comme un poisson dans l’eau dans ce repaire de gredins, cette plaie ouverte dans le sein de la bonne société de Marseille. Ah, si

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