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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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sécurité où il pourra à loisir réfléchir jusqu’à la fin de ses jours à la nature abominable de son crime. » Il rechaussa ses lunettes et ramassa sa serviette. « La séance est levée. »
    Saint-Cyr demeura assis pendant que Charging Elk laissait patiemment les deux gendarmes lui passer des menottes aux poignets et des fers aux pieds. La lourde chaîne heurta le sol avec un bruit qui avait quelque chose de définitif. Le journaliste en eut froid dans le dos. Voilà comment cela se termine, songea-t-il. Voilà la réalité – un claquement métallique qui résonne dans le calme soudain d’une salle sinistre lambrissée de bois sombre. Le prétoire lui-même semblait tout à coup sépulcral et désert cependant que sortaient les derniers spectateurs.
    L’éditorialiste ne parvenait pas à analyser ses sentiments, ce qui ne manquait pas de l’étonner. Il s’apprêtait à se précipiter dehors en compagnie des autres journalistes pour préparer son papier qui devait paraître le lendemain dans La Gazette, mais les jambes soudain flageolantes, il s’était senti incapable de penser, vidé de ses émotions. Il aurait pourtant dû jubiler, non ? Grâce à ses articles, l’affaire, de simple scandale, avait été transformée en une cause célèbre – tout le monde sur les marchés, dans les cafés, sur les quais du Vieux-Port et jusque dans les salons de la haute bourgeoisie ne parlait plus que de cela. Il avait réussi à ameuter l’opinion et, surtout, Charging Elk avait échappé à la guillotine, ce qui constituait un petit miracle en soi, et peut-être même un grand miracle en l’espèce. Saint-Cyr, en dépit de son expérience d’échotier, puis d’éditorialiste, n’avait auparavant assisté qu’à un seul procès, celui d’une femme âgée accusée d’avoir empoisonné son mari, mais il habitait Marseille depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’une affaire comme celle-ci se concluait presque toujours par une condamnation à la peine capitale. Les crimes étaient terribles dans la ville portuaire, mais les châtiments l’étaient davantage encore. Cette fois pourtant, la cour avait fait preuve de clémence, en partie, peut-être, en raison de ses éditoriaux et des manifestations qu’ils avaient engendrées. Il aurait donc dû être heureux d’avoir sauvé Charging Elk de la guillotine. Alors, qu’est-ce qui le tracassait ainsi ?
    Au bruit des chaînes qui raclaient le plancher, il leva la tête et vit les gendarmes emmener Charging Elk. Sans réfléchir, il cria : «  Adieu, mon ami ! Bonne chance ! » Après que le grand Indien eut hésité un instant avant de se tourner vers lui, il comprit d’où venait cette impression de malaise qu’il éprouvait. C’étaient les yeux. Ces mêmes yeux dans lesquels il avait plongé son regard lors de sa première rencontre avec Charging Elk dans la prison de la préfecture quatre ans plus tôt. Ils étaient déjà morts.
    Saint-Cyr resta assis jusqu’à ce qu’il n’entende plus rien. Il se sentait aussi vide et futile que les petits triomphes qu’il s’imaginait avoir remportés. Il avait trahi Charging Elk. Le tribunal avait trahi Charging Elk. Le journaliste poussa un soupir qui évoquait davantage une plainte, puis il prit son crayon et écrivit : « Je crains que la cour n’ait pas rendu service au pauvre sauvage en le condamnant à la prison à perpétuité plutôt qu’à l’échafaud. J’ai vu ses yeux alors qu’on l’emmenait menotté, les fers aux pieds, et j’ai vu un mort vivant. Puisse son Dieu nous pardonner à tous. »

18
    La Tombe se trouvait dans le sud-ouest de la France, parmi les collines arides au-delà de Carcassonne, non loin de Mont-ségur que les croisés de Saint Louis avaient assiégé avant de capturer les cathares et de les brûler vifs sur un immense bûcher. On était alors en 1244.
    La Tombe, une ancienne forteresse des croisés, n’était plus, en 1866, qu’un tas de ruines. À l’époque, le gouvernement français avait décidé qu’il lui fallait une prison de haute sécurité en plus de l’île du Diable, une colonie pénitentiaire située près de la côte de la Guyane. On avait donc bâti la prison sur les fondations de la forteresse. Les murs de pierre, larges de trois mètres à la base, allaient en diminuant, de sorte qu’en haut, ils ne faisaient plus qu’un mètre trente d’épaisseur. Le périmètre de la muraille mesurait 550 mètres et des tours de guet se

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