À La Grâce De Marseille
fraîcheur apportée par la pluie, car les abords du Palais de Justice étaient étonnamment calmes. À peine une cinquantaine de personnes tournaient en rond sur la place Montyon, et encore paraissaient-elles hésitantes, indécises. Le seul orateur à prendre la parole fut un vieil homme en imperméable et sandales qui mit la petite foule en garde contre les péchés et la colère de Dieu. Il était difficile de savoir s’il faisait référence aux péchés dont on s’entretenait à l’intérieur du tribunal ou à ceux, plus véniels, que l’on commettait quotidiennement. Puis, après avoir demandé une cigarette à la cantonade, il s’éloigna en grommelant. Quant aux manifestants, seuls, par deux ou par petits groupes, ils commencèrent à se disperser. Ils ne semblaient pas très motivés aujourd’hui. Et pourquoi l’auraient-ils été ? Après tout, Marseille renaissait sous la pluie.
Les jurés ne délibérèrent que deux heures, et quand ils regagnèrent leurs bancs, ils avaient la même expression que lors de l’ouverture du procès – fermée, sombre – mais peut-être un peu plus tendue. La principale différence, c’était que, après avoir siégé durant d’interminables journées, chacun possédait maintenant un visage – et sans doute une famille, une amoureuse ou encore une mère âgée, bref une vie que tous étaient impatients de retrouver. Plusieurs avaient porté le même costume noir tout au long du procès, et ils devaient avoir hâte de le quitter. Pour certains, leur désignation avait entraîné de fâcheuses conséquences financières. Tout cela avait peut-être contribué à leur empressement – à moins qu’ils n’aient conclu qu’il n’y avait guère matière à discussion et que le verdict allait de soi.
« Accusé, levez-vous. » C’était un ordre, et Charging Elk s’exécuta, déployant sa haute taille, puis il croisa les mains devant lui. Il était accoutumé à entendre de petits bruits autour de lui, un raclement de chaise, un chuchotement, une toux ou un froissement de papier, mais il régnait à présent un silence absolu.
« Le jury est-il parvenu à une décision ? »
Le président du jury se leva, et Charging Elk constata avec surprise que c’était le plus jeune des hommes. Mince et frêle, il lui rappela Mathias. D’une voix pourtant forte et claire, il annonça : « Nous déclarons l’accusé coupable de meurtre, monsieur le Président. »
Au tohu-bohu qui éclata au balcon, Charging Elk tourna la tête. Des sifflets retentirent au milieu des gémissements et du murmure des conversations. Le président de la cour abattit alors son marteau de bois.
« Silence ! ou je fais évacuer la salle ! » ordonna-t-il. Il attendit que cesse le brouhaha, puis il ajouta : « Je vous rappelle que vous êtes dans l’enceinte d’un tribunal ! »
Il fixa du regard le public du balcon pendant une bonne minute, jusqu’à ce que l’on n’entende plus un bruit sinon le grincement des crayons des journalistes. Satisfait, il s’adressa alors aux jurés pour les remercier de leur patience et de leur jugement. Ensuite, il conféra un instant à voix basse avec les deux autres magistrats avant de reprendre la parole : « Après délibération, la cour déclare que le meurtre a été commis en réponse à une provocation et sans préméditation. Bien que le crime ne se justifie en aucun cas dans une société civilisée, nous estimons que cela constitue des circonstances atténuantes.
« Avant de rendre notre verdict, je tiens à faire remarquer que l’homme à présent déclaré coupable de meurtre n’appartient pas à une race humaine civilisée. Il est évident qu’il ne possède pas les croyances et les principes qui régissent une société organisée et respectueuse des lois. Du charabia dont il nous a gratifiés hier et qui passe pour un langage parmi les gens de son peuple, de même que de son comportement ayant conduit au crime, nous pouvons déduire, ainsi que le procureur général l’a exposé avec son talent habituel, qu’il lui est tout simplement impossible de se conformer ne serait-ce qu’aux règles les plus élémentaires de notre code de conduite et que, en conséquence, il représentera toujours une menace pour la société. » Le président du tribunal s’interrompit et ôta ses lunettes. Ses yeux clairs se posèrent sur l’accusé. « La cour condamne donc le prévenu à la détention en un lieu de haute
Weitere Kostenlose Bücher