À La Grâce De Marseille
lui sourirait ainsi. Une jeune fille comme Marie.
Lorsque Nathalie repéra la ceinture, elle prit une expression juvénile. « Je peux vous regarder travailler ? » demanda-t-elle.
Charging Elk examina un instant la ceinture et ne distingua que d’affreux dessins inachevés. « Ce n’est pas très beau, dit-il. J’allais arrêter pour ce soir.
— S’il vous plaît, Charging Elk, faites-le pour moi. »
Quand il l’entendit prononcer ainsi son nom, avec tant de douceur, son cœur se dilata de joie. Il savait pourtant qu’il ne devait pas se laisser aller à éprouver de tels sentiments pour elle. Il retourna s’asseoir devant sa table et reprit son travail minutieux en s’efforçant d’oublier que Nathalie était penchée juste au-dessus de lui. Grâce à ces quelques instants de repos, ses yeux lui faisaient moins mal et, avec des doigts qui ne tremblaient pas, il recommença à tresser les crins pour former les motifs.
Appliqué, absorbé dans sa tâche, il retrouva bientôt son rythme habituel. Soudain, il sentit une légère pression contre son épaule. Du coin de l’œil, il aperçut la main blanche de la jeune fille posée sur le tissu rugueux de sa veste de laine. C’était un geste amical, mais trop intime, et il comprit qu’il devait lui demander de partir. Seulement, ne voyant pas comment le faire sans se montrer impoli, il essaya d’oublier cette main.
« C’est si joli », dit Nathalie, et Charging Elk sentit qu’elle lui caressait les cheveux. Il les coupait maintenant un peu plus bas que les épaules, et d’ordinaire, il les coiffait en queue de cheval, mais ce soir, dans sa chambre, il les avait laissé retomber librement. Alors qu’elle continuait de les lui caresser, il éprouva une sensation de vertige. Il garda les yeux rivés sur ses doigts qui continuaient machinalement à tresser les crins. Et puis, ses gestes devinrent maladroits et ses mains s’immobilisèrent. Il resta un moment sans bouger, envahi d’une étrange et agréable torpeur, cependant que les doigts de Nathalie jouaient avec les mèches de ses cheveux.
Il demeura longtemps ainsi, les paupières closes, et soudain, il respira un doux parfum, tandis que les lèvres de la jeune fille lui effleuraient la joue, tout près du coin de la bouche. Il entendit un bruit de pas légers, puis la porte s’ouvrir et se refermer. Il était de nouveau seul dans sa chambre, subitement et désespérément amoureux.
Après cette première nuit, Nathalie vint souvent le voir dans sa chambre. Au début, Charging Elk craignait que Vincent l’apprenne et désapprouve la conduite de sa fille, mais le cultivateur se retirait toujours une fois bue son eau-de-vie d’après dîner. Depuis la mort de sa femme, il semblait avoir perdu une bonne part de cette énergie qui lui permettait de travailler dur toute la journée, puis de trouver encore la force de dresser des plans sur l’avenir et d’asticoter Nathalie. Bien qu’il lui arrivât de s’animer de temps en temps lorsqu’il parlait avec Charging Elk, il demeurait presque toujours silencieux et pensif, se contentant de soupirer, tassé sur sa chaise comme un vieillard. Ensuite, son verre terminé, il se levait de table et allait se coucher.
La personnalité de Nathalie étonnait beaucoup Charging Elk. Elle passait de l’adolescente qui s’amusait à le taquiner et qui pouffait à de curieux moments à la jeune femme modeste qui rougissait à ses compliments ou envisageait de quitter la ferme maintenant que sa mère était morte. Quoi qu’il en soit, dans l’un et l’autre de ces rôles, elle aimait lui caresser les cheveux, lui prendre les bras pour les glisser autour de sa taille et l’embrasser, toutes choses qu’il trouvait agréables mais qui le gênaient, compte tenu de son manque d’expérience. Un soir, elle lui demanda de l’embrasser avec la langue. Il s’exécuta, et elle tomba à la renverse sur son lit en s’exclamant avec un petit gloussement : « Oh ! là ! là ! »
Elle finit par réclamer de plus en plus de baisers, et Charging Elk la sentait devenir plus femme de jour en jour. Elle le laissait lui caresser les seins et les hanches, mais pas plus. « Le reste, c’est pour plus tard », disait-elle, repoussant sa main.
Il supportait sans mal son attitude aguicheuse, car en sa compagnie, il avait l’impression d’être de nouveau jeune et plein de vie comme à l’époque du Bastion quelque quinze ans plus tôt, et il attendait
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