À La Grâce De Marseille
qu’elle devienne pour de bon la jeune femme qui pourrait répondre à sa passion. Au début, il s’était efforcé de maîtriser son excitation, mais en vain, d’autant que son état semblait fasciner Nathalie qui, parfois, passait un doigt sur son pantalon afin de sentir la rigidité de son sexe dressé. La première fois, elle lui avait demandé si cela ne lui faisait pas mal de se tendre ainsi, et il avait éclaté de rire, de sorte que, saisie d’inquiétude, elle lui avait plaqué la main sur la bouche. « Espèce d’idiot, tu veux réveiller mon père ? » avait-elle lancé à voix basse. Rire lui avait cependant fait du bien, et il avait serré la jeune fille dans ses bras avec gratitude.
Après leurs jeux, Nathalie l’interrogeait souvent sur son existence en Amérique. Il lui parla donc de son enfance dans les plaines, de la vie sous le tipi, de ses chevauchées sur le dos de Grand Coureur, de la bataille contre les soldats et de l’arrivée à Fort Robinson. Son français était maintenant assez bon pour lui permettre d’entrer dans les détails. Il laissa cependant de côté les aspects violents, comme la fois où ses amis et lui avaient coupé le doigt du soldat mort pour s’emparer de sa bague. Il prit plaisir à raconter, dans la mesure où il n’avait guère eu l’occasion de le faire depuis qu’il était en France. Il avait vaguement évoqué l’époque du Bastion avec Causeret, mais le jongleur, devenu obsédé par l’or des Paha Sapa, ne voulait plus entendre parler que de cela.
Nathalie écoutait et le considérait parfois d’un air incrédule. Déjà, avoir un Indien pour amoureux, elle parvenait difficilement à le croire. Même dans ses rêves les plus fous, elle n’aurait jamais pu l’imaginer. Et plus elle en apprenait sur lui, plus elle se rendait compte qu’elle ne savait rien du genre d’homme qu’il était, ni de l’existence qu’il avait menée. Elle avait bien vu des illustrations d’Indiens dans des magazines, mais ils avaient des coiffes en plumes et des visages peints, et portaient des tomahawks ou des fusils. Et le plus souvent, ils affichaient une expression cruelle, et même inhumaine. Charging Elk, lui, n’était ni cruel ni inhumain. Il ne portait pas d’arme, ni ne se peignait le visage. Il était doux, et même docile. Il ne faisait rien sans lui demander l’autorisation. Lorsqu’elle était seule, la jeune fille se demandait parfois ce qui se passerait s’ils se promenaient ensemble le long de la Garonne à Agen. Que penseraient les gens ? Et que penserait Catherine ?
Naturellement, l’idée même était inconcevable. On les montrerait du doigt, les hommes aussi bien que les femmes exprimeraient leur réprobation, les jeunes gens se moqueraient d’eux derrière leurs dos, et Catherine elle-même la raillerait pour n’avoir pas réussi à trouver mieux qu’un sauvage. Quand elle se laissait aller au pessimisme, elle aussi se disait qu’elle ferait sans doute mieux de chercher un garçon appartenant à son milieu, un fils de paysan, ou peut-être un quincaillier ou un charpentier.
Avant Charging Elk, elle n’avait jamais rencontré personne qui eût le teint aussi foncé, pas le moindre Africain, Arabe ou Levantin. Aux alentours, il n’y avait que des Français. Ici, les gens se méfiaient de ceux qui étaient différents.
Et pour être différent, Charging Elk l’était. Mais il était bon, fort et gentil. Est-ce que cela ne suffisait pas ? En tout cas, quand elle se trouvait en sa compagnie dans sa petite chambre, cela lui suffisait. En revanche, quand ils se rendaient en ville dans la carriole avec son père, elle voyait comment les gens le regardaient, et elle se sentait gênée et même honteuse d’être assise à ses côtés. Elle veillait à ne pas être trop près de lui et à ne pas lui parler pendant qu’ils étaient ainsi l’objet de tous les regards. De retour à la ferme, c’est de sa propre conduite qu’elle avait honte, et elle lui témoignait davantage de marques d’affection que d’habitude. Elle prenait alors la résolution de changer d’attitude la prochaine fois : elle resterait à côté de lui, elle rirait avec lui, elle ne craindrait pas de le regarder dans les yeux, de lui prendre la main et peut-être même de se promener avec lui. Et au diable ce que les gens pourraient penser !
Un matin vers la mi-décembre, juste après le petit déjeuner, Vincent demanda à Charging Elk d’atteler les
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