À La Grâce De Marseille
applaudissait.
Naturellement, Buffalo Bill, monté sur son grand cheval blanc, chevauchait en tête de la procession. Il agitait son chapeau et saluait d’abord un côté de la rue, puis l’autre. Annie Oakley, que Buffalo Bill avait surnommée « La petite qui fait mouche », venait ensuite avec son mari et les grands patrons. Ils précédaient les cow-boys, certains équipés de leurs jambières de laine, les soldats en uniformes bleus impeccables et les vaqueros coiffés de leurs larges chapeaux. En dernier venaient les Indiens, conduits par Red Shirt et Rocky Bear que les patrons avaient désignés comme chefs. Après l’expérience de Paris, Charging Elk savait qu’en dehors de Buffalo Bill, les spectateurs voulaient surtout voir les Indiens, les Peaux-Rouges comme ils les appelaient. Sur leur passage, les gens poussaient des cris et montraient du doigt leurs visages peints. Des femmes leur jetaient parfois des fleurs, mais les Indiens, impassibles, continuaient leur chemin comme si de rien n’était.
Charging Elk se rappelait bien ce jour qui lui avait paru l’un des plus longs de sa vie. Après avoir donné un spectacle dans une grande ville quelque part au sud de Paris, ils avaient voyagé toute la nuit le long de la route de fer. Les garçons de piste avaient démonté le chapiteau, les gradins et les tentes, emballé la nourriture et tout le matériel de la grande tente à manger, coupé les générateurs et rangé les rampes d’éclairage ainsi que les immenses rouleaux de toile qui servaient de décor et sur lesquels étaient peints des paysages de montagnes, de plaines, de rivières, de villages et de forts. Ensuite, ils s’étaient occupés des stands et autres baraques, puis avaient transporté le tout dans des chariots jusqu’à la gare où attendait le train spécial composé de trente-huit wagons qui devait mener hommes, animaux et équipement à leur prochaine destination.
Certains des Indiens qui étaient déjà venus de ce côté-ci de la grande eau se plaignirent parce que, au contraire des Blancs de la troupe, ils voyageaient en troisième classe où les banquettes étaient plus dures et les wagons plus bruyants. Charging Elk remarqua que Rocky Bear et Red Shirt n’étaient pas parmi eux. Ici, les grands patrons traitaient les deux chefs avec des égards pour la bonne raison que les Français les aimaient davantage que les Américains et les considéraient comme de nobles personnages. Par contre, les patrons n’hésitaient pas à reléguer les autres Indiens dans le dernier wagon, juste avant ceux des animaux et du matériel. Featherman lui-même, l’ iktome quiplaisantait tout le temps, grommela tandis qu’il s’efforçait de s’étendre sur une banquette inconfortable.
La troupe arriva à Marseille peu avant le lever du jour, et on déchargea les wagons pour tout transporter dans le parc. Charging Elk fut surpris de voir tant de monde assister à leur installation à une heure aussi matinale.
Il était maintenant bien rodé. La troupe avait donné des représentations dans la ville américaine de New York et également durant près de sept lunes, à Paris. Il était habitué à la curiosité des habitants des grandes cités – tant à New York qu’à Paris, les gens se promenaient parmi les tipis du village indien et regardaient les femmes cuisiner, coudre ou réparer les ouvrages de perles. Ils s’arrêtaient pour observer les Indiens accroupis qui jouaient aux dominos ou aux cartes. Certains allaient même jusqu’à entrer dans les tipis familiaux, comme si la mère préparant le dîner ou l’enfant dormant dans son berceau faisaient partie du spectacle. Rocky Bear affirmait que Buffalo Bill et les autres patrons approuvaient ce sans-gêne parce que cela rendait les spectateurs impatients de voir les Indiens en piste.
Vers le milieu de la matinée, on se prépara pour la parade. C’était une journée grise et froide, et Charging Elk, à l’exemple des autres Indiens, portait sa couverture sur ses épaules. Il était fatigué, il avait sommeil, et la perspective d’avoir à se produire le soir était loin de le réjouir.
Néanmoins, lorsque les membres du Cowboy Band montés sur leurs chevaux blancs entamèrent la chanson qu’ils appelaient « La fille que j’ai laissée derrière moi », une chanson qu’il avait déjà entendue des centaines de fois, puis que le cortège s’ébranla, Charging Elk plia sa couverture et la drapa sur les épaules de son
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