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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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fois où il y parvenait, il rêvait des festins que, enfant, il faisait sur les plaines. Les Oglalas mangeaient de la vraie viande à l’époque. Il y avait encore des bisons aux alentours des Tongue et Powder Rivers, le long du Missouri et de la Milk River, et les hommes rentraient au campement avec les chevaux de bât chargés de viande et de peaux. Charging Elk rêvait de bosses de bison, de graisse de panse et de côtelettes, de cervelles et d’os à moelle. Et au moment où il s’apprêtait à dévorer, au moment où sa mère lui tendait un bol de soupe de baies sauvages, il se réveillait blotti sur des marches dans une ruelle ou sous un buisson dans un parc planté d’arbres nus. Il se remettait alors en route et, levant les yeux, il identifiait au travers des ténèbres un grand nombre de ceux qui appartenaient au peuple des étoiles, mais ils n’étaient pas à leur place dans le ciel.
    Le quatrième jour, il arriva devant un boulevard qu’il reconnut sur-le-champ, et son cœur bondit dans sa poitrine. Il n’en croyait pas sa chance. L’espace d’un instant, il oublia sa faiblesse et son mal du pays. À bord d’un omnibus, il avait emprunté ce même boulevard la seule fois où ils avaient visité la ville, et il savait que l’endroit où la troupe avait établi son campement se trouvait deux ou trois miles plus haut.
    Il tourna la tête de l’autre côté. Il se rappelait que l’omnibus avait bifurqué en direction d’un autre boulevard qu’il distinguait au loin. Au coin, on voyait les flèches d’un édifice sacré. Ce boulevard le conduirait jusqu’à la grande eau où attendaient les bateaux de feu.
    Charging Elk décida de se diriger d’abord vers l’endroit où s’était dressé le chapiteau. Ses côtes ne lui faisaient plus trop mal et, malgré son estomac noué, il sentait ses forces lui revenir petit à petit. En outre, il caressait le fol espoir de trouver encore quelqu’un sur place. Peut-être que l’Américain au costume marron habitait là. Ou peut-être que les garçons de piste seraient occupés à démonter les tentes et les enclos des animaux. Charging Elk voulut accélérer le pas, mais la tête se mit à lui tourner. Il se surprit à s’imaginer qu’il n’allait pas tarder à entendre les cris et les acclamations du public. Il se voyait déjà entrer en piste et se lancer à la poursuite des bisons. Le spectacle ne manquait jamais d’électriser la foule, mais ce n’était pas un numéro réellement dangereux, car les bêtes, peu nombreuses, étaient jeunes, âgées tout au plus d’un an ou deux. Les choses eussent été bien différentes avec des bisons adultes qui, dans un espace aussi restreint, auraient vite eu raison d’un cavalier désarmé et de son cheval grâce à leur puissance et leur rapidité. Les spectateurs eux-mêmes n’auraient pas été en sécurité. À Paris, un jeune mâle avait réussi à défoncer la barrière et à encorner deux personnes avant d’être abattu.
    On était en milieu d’après-midi et Charging Elk, maudissant sa malchance, remarqua cependant quelque chose de curieux : le boulevard était pratiquement désert et tous les magasins, jusqu’aux cafés, aux brasseries et aux bureaux de tabac, étaient fermés. Seules de rares voitures à cheval circulaient sur la chaussée. La veille, il avait dû se réfugier dans les petites rues pour éviter la cohue. Ce matin, tout était encore ouvert, et les gens, installés aux terrasses des cafés, prenaient le soleil. Il pensa un instant se trouver dans une rue morte : peut-être avait-on décrété pour une raison quelconque qu’il s’agissait d’une mauvaise médecine, mais lorsqu’il arriva à un carrefour, il constata que les autres rues étaient également vides.
    Il poursuivit son chemin, à la fois content qu’il n’y eût personne pour le dévisager et inquiet à l’idée d’être seul. Peut-être qu’il était interdit de se promener à cette heure. Peut-être qu’il s’était passé quelque chose dans la grande ville. Pourtant, il apercevait des gens par-ci, par-là : un commerçant qui fermait boutique, une femme qui poussait un landau, deux jeunes gens qui tournaient un coin avant de disparaître.
    Après s’être arrêté à deux ou trois reprises pour se reposer, Charging Elk se retrouva devant la place circulaire où les chariots, les carrioles et les équipages entamaient leur ronde avant d’emprunter l’une des nombreuses rues qui partaient de

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