À La Grâce De Marseille
blaireau chanta pour lui, fuma avec lui, et lorsque Charging Elk se réveilla, il était parti, lui laissant son pouvoir.
Le jeune Indien éprouva soudain un mélange d’appréhension et d’espoir. Si cela faisait partie du plan de Wakan Tanka, il devrait s’y soumettre jusqu’au bout, demeurer vigilant et prendre les bonnes décisions. Et surtout, il lui faudrait prier pour qu’on lui montre la voie. Il n’avait plus son collier de griffes de blaireau, mais il avait toujours son chant de mort. S’il l’entonnait au moment voulu, sa nagi trouverait le chemin du pays. Mais aurait-il encore son pouvoir de ce côté-ci de la grande eau ? Tôt ou tard, il finirait bien par le savoir.
Il s’écarta-du mur et traversa la rue. Sentant la chaleur sur sa tête et ses épaules, il leva les yeux et vit le soleil briller au-dessus de lui. C’était peut-être le signe que le Grand Mystère l’observait. Il contempla un long moment w i et, offrant son visage à ses rayons, il eut l’impression d’être à la fois puissant et tout petit. Et aussi, pour la première fois depuis longtemps, pleinement vivant. Il ne souhaiterait plus jamais mourir, à moins que Wakan Tanka ne le prît au mot.
Charging Elk étudia un instant l’arbre décoré dans la vitrine de l’autre côté de la rue dont le trottoir baignait de nouveau dans l’ombre. Il connaissait cet arbre. Il en avait vu dans la maison de réunion à Pine Ridge en rendant visite à ses parents, et également dans une ville de mineurs dans les Paha Sapa. Strikes Plenty et lui s’étaient glissés vers une grande maison à manger et ils l’avaient aperçu par la fenêtre. À Pine Ridge, il se dressait dans un coin de la maison de réunion, et les enfants oglalas lui chantaient de douces chansons.
C’était la saison des jours les plus sacrés de l’homme blanc, et ils adoraient cet arbre comme s’il s’agissait du soleil. La nuit, les bâtonnets blancs étaient allumés. L’arbre s’animait et étincelait. Charging Elk arriva à la conclusion que les petites figurines dans la ruelle avaient un rapport avec les jours sacrés. Il se rappelait la femme en bleu et le nouveau-né aux cheveux blonds qui agitait les jambes, ainsi que les hommes aux hautes coiffes. Il se doutait qu’ils possédaient de grands pouvoirs, mais il ne comprenait pas très bien la relation avec la saison des sapins sacrés, et en particulier avec le policier et l’homme noir au bandeau sur l’œil.
Charging Elk connut encore cinq sommeils de liberté. Bien que sans un sou, il réussit à se nourrir grâce à ce qu’il parvenait à chaparder ou à récupérer dans les poubelles derrière les restaurants. Il tomba parfois sur des marchés et se promena entre les étals, respirant la bonne odeur des produits qu’on y vendait : le pain noir tout frais, la viande rouge et luisante, les piles d’oranges et de noix, les jarres d’olives, les fromages de toutes les couleurs, de toutes les tailles et de toutes les formes. Il avait déjà visité des marchés à Paris où les autres Indiens et lui avaient à plusieurs reprises acheté des espèces de noix allongées avec une coque verte. En revanche, il n’aimait pas les fromages. Certains étaient trop secs, d’autres sentaient trop fort ou bien collaient sur la langue, et tous lui donnaient la diarrhée. Les Indiens de la réserve, par contre, habitués aux aliments de l’homme blanc, mangeaient de ces fromages et pétaient toute la nuit, à leur plus grande joie.
Le premier jour, malgré la curiosité dont il était l’objet, Charging Elk réussit à voler un petit sac contenant quatre pommes. Le soir, il trouva derrière un restaurant quelques os d’oiseau auxquels était encore attaché un peu de viande pâle. Après cela, il ne récolta pas grand-chose, pelures d’oranges, feuilles de choux, quignons de pain dur, quelques pommes frites molles dans un papier sur lequel figuraient en tout petit des mots de l’homme blanc. Craignant les regards qu’il suscitait, il décida de ne plus tenter de faucher quoi que ce soit dans les marchés. Et, pour la même raison, il évita les rues trop larges.
Les jambes de plus en plus faibles, il devait s’arrêter souvent pour se reposer. Les journées étaient chaudes et ensoleillées, mais les nuits froides. L’épais manteau ne suffisait pas à l’empêcher de trembler chaque fois qu’il se réfugiait dans un coin pour essayer de dormir, aussi dormit-il très peu, et les rares
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