À La Grâce De Marseille
l’étroit escalier en spirale qui s’enfonçait dans les profondeurs de la préfecture, songea qu’il n’aurait jamais associé à Borely le prénom d’Ambroise. Francis ou Jérôme, peut-être, ou à la rigueur Michel, mais sûrement pas Ambroise. Saint patron de… de quoi ? Des sergents de ville ?
Le sous-sol empestait l’huile rance, l’oignon et le chou, ainsi que le désinfectant. Le mélange n’était guère plaisant, de sorte que la brioche et le café au lait remontèrent à la gorge de Saint-Cyr. Il commençait à se demander, tandis que son regard englobait les murs sombres et suintant d’humidité de l’étroit couloir bas de plafond, si finalement son idée était aussi bonne qu’il se le figurait. On se serait cru dans les oubliettes de quelque château médiéval tout droit sorti de l’Espagne à l’époque de l’Inquisition. Il s’imagina une panoplie d’instruments de torture dans des salles peuplées d’hommes en robes à capuchons marron. Frappé de claustrophobie, il sentit de nouveau son cœur se soulever.
Par bonheur, le corridor déboucha sur un couloir plus large où se tenait un homme derrière un bureau éclairé par une lucarne. Il portait une chemise sans col aux manches retroussées, et sa tunique était drapée sur le dossier de sa chaise.
« Monsieur vient voir le Peau-Rouge. C’est d’accord avec le sergent Borely. »
Le geôlier était obèse. Un périodique était étalé devant lui, et on voyait une illustration représentant une jeune femme en corset et bas noirs qui laissaient le haut de la cuisse découvert. Elle tenait sur ses genoux une mante à franges.
« Et à quel titre monsieur vient-il ? » L’homme replia soigneusement son périodique et le posa sur un coin de son bureau. Il était clair qu’il avait la responsabilité de cet endroit et qu’il prenait ses ordres de personnes plus haut placées que Borely.
« Je suis reporter au Petit Marseillais. Je couvre les activités de la police, et on m’a envoyé interviewer le Peau-Rouge – avec l’aimable autorisation du sergent Borely, et naturellement, la vôtre, j’espère. » Saint-Cyr ne jugea pas utile de dire la vérité, à savoir que, quelques minutes plus tôt, il ignorait encore l’existence de Charging Elk.
Mais le gros homme n’écoutait plus. Il se leva lourdement, réajusta ses bretelles qu’il fit ensuite claquer avec satisfaction, sans cesser de marmonner pour se plaindre du manque de communication entre les privilégiés du dessus et les pauvres types comme lui condamnés à travailler dans de pareils culs-de-basse-fosse.
Il enfila sa tunique sans se donner la peine de la boutonner, puis il ouvrit une petite armoire située contre le mur derrière le bureau. Continuant sa diatribe contre les gens de là-haut, il décrocha un lourd trousseau de clés. « Des infâmes salauds », grommela-t-il en traversant le couloir en direction d’une porte en fer qu’il déverrouilla à l’aide de l’une des clés. Le grincement des gonds fit dresser les cheveux sur la tête de Saint-Cyr.
Le geôlier demanda au gardien de la paix d’attendre là, puis il lui claqua la porte au nez. Le couloir qui s’étendait devant les yeux de Saint-Cyr était encore plus sombre que celui qu’il avait emprunté pour arriver jusqu’au bureau du maître des lieux. Il n’y avait ni fenêtres, ni lumière du jour. Le seul éclairage provenait de quelques rares ampoules suspendues au plafond et protégées par un grillage. Le jeune reporter était assez surpris de constater que la prison possédait l’électricité. Il se serait attendu à y trouver plutôt un éclairage au gaz ou peut-être même des flambeaux qui, accrochés aux murs, auraient répandu une lueur vacillante.
D’un côté du couloir, il n’y avait qu’un mur de pierres nu, tandis que de l’autre, des portes métalliques dépourvues de fenêtres s’alignaient à intervalles réguliers. Saint-Cyr n’avait jamais eu l’occasion de descendre dans la prison, et il commençait à regretter sa visite. Il ramena son manteau autour de lui pour se protéger du froid humide. L’image de l’Inquisition s’imposa de nouveau à son esprit. Il avait toujours souffert de crises de claustrophobie – depuis le jour où, alors qu’il était encore au lycée, il avait visité en compagnie de sa classe un ancien donjon où ils avaient dû s’engager l’un derrière l’autre dans les étroits corridors et le petit escalier de
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