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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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ancêtres, puis les quatre-jambes et les ailes-de-l’air. Après quoi, il pria longuement Wakan Tanka, jurant avec ferveur de le servir toujours dans le monde réel au-delà de celui-ci. Il alluma la cigarette et la fuma à moitié avant de l’écraser sur sa paume. Il la fit ensuite rouler entre son pouce et son index, jusqu’à ce que tous les brins de tabac qui restaient lui tombent dans la main. Il les glissa alors dans la poche de son manteau pour avoir quelque chose à offrir à Blaireau quand il arriverait au pays.
    Charging Elk se rallongea sur le lit de fer. Il n’avait plus froid et il se sentait en paix avec lui-même ainsi qu’avec le monde qui l’entourait. Il leva les yeux vers le haut plafond, et il s’entendit qui chantait. C’était un chant puissant, et il remercia Blaireau de le lui avoir donné. Il ferma les yeux et continua de chanter.

5
    Deux jours après sa parution dans Le Petit Marseillais, l’histoire du « pauvre hère » perdu dans les « entrailles » de la préfecture n’avait toujours pas suscité beaucoup de réactions, à l’immense déception du jeune reporter. Dans ses rêves les plus fous, il avait imaginé qu’elle soulèverait une vague d’indignation et qu’on assisterait à des manifestations monstres devant la préfecture et sur la place du palais de Justice ainsi qu’à des défilés organisés par les syndicalistes et les socialistes, et peut-être même à la venue du ministre de la Justice, arrivé tout exprès de Paris. Plus sérieusement, il s’était au moins attendu à un sursaut d’indignation de la part des Marseillais qui se rassemblaient souvent afin de protester contre ceci ou cela, l’augmentation du prix du pain ou les limitations de la quantité d’ordures qu’on avait le droit de déposer au bord du trottoir.
    Bien que l’article n’eût pas provoqué le scandale espéré, il amena cependant quelques personnes à se réunir devant la préfecture, conduites par un vieux prêtre qui évoqua le traitement honteux et inhumain infligé au Peau-Rouge, l’une des plus simples parmi les créatures de Dieu. Il parla de compassion et de pitié, de prière et de pardon. Il continua de discourir, gratifiant la petite foule d’un sermon qui concernait davantage le sort des sauvages et des barbares à travers le monde, qui figuraient tous parmi les plus simples des créatures de Dieu, que celui réservé à ce Peau-Rouge en particulier.
    Saint-Cyr, se tenant légèrement en retrait, compta le nombre des personnes présentes qui, malheureusement, semblaient toutes approuver ce prêche. Elles n’étaient guère plus d’une vingtaine, ce qui ne fit qu’accroître sa déconvenue, aussi décida-t-il de doubler ce chiffre dans son prochain papier. Cinq gardiens de la paix montaient la garde devant les portes de la préfecture. Peut-être pourrait-il également aborder le sujet de la répression, de la violence latente, mais alors même qu’il prenait des notes, il se demandait s’il ne ferait pas mieux de tirer un trait sur ses ambitions de carrière journalistique.
    Au début, son rédacteur en chef n’avait guère paru s’émouvoir de l’histoire de Charging Elk. Encore qu’on pût attribuer cela à un aspect de la personnalité de cet homme qui, en réalité, avait l’air de n’en posséder aucune. Et quand Saint-Cyr demanda s’il pouvait écrire l’article lui-même, alors qu’il n’était qu’un modeste échotier et qu’il s’attendait à se voir opposer un refus brutal accompagné peut-être d’un petit rire méprisant, le rédacteur en chef demeura silencieux durant ce qui sembla une éternité, les mains jointes devant son visage lugubre. Avec son costume noir et son crâne chauve qui luisait sous la lampe, on l’aurait pris pour un entrepreneur de pompes funèbres plongé dans ses pensées cependant que sanglotait autour de lui la famille endeuillée.
    Au moment où Saint-Cyr s’apprêtait à sortir à reculons du bureau exigu, à rebrousser chemin comme pour effacer ces pénibles instants, le rédacteur en chef se leva et frappa son bureau du plat de la main, faisant sursauter le jeune reporter.
    « Vous vous en sentez capable ? demanda-t-il de sa voix de croque-mort.
    — Oui, bien sûr, monsieur Grignan. Je ferai de mon mieux.
    — Parfait. » Le rédacteur en chef consulta le petit réveil posé devant lui. « Vous avez deux heures. Quand vous aurez fini, portez-le à Fauconnier et dites-lui de faire les

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