À La Grâce De Marseille
ajustements nécessaires. »
Saint-Cyr constata ensuite avec plaisir que Fauconnier, un journaliste chevronné, ne jugea pas utile d’apporter trop de modifications à son texte. Il se contenta de barrer les adjectifs « bestial » pour décrire le geôlier (« Sinon, la prochaine fois, il risque de vous bouffer tout cru ») et « insensible » pour qualifier l’ensemble de la police marseillaise. (« N’oubliez pas qu’on doit continuer à travailler avec elle, même si ce n’est qu’une bande de salauds insensibles »).
À la fin, Fauconnier lui administra une petite tape sur l’épaule en disant : « J’ai l’impression que vous êtes tombé amoureux de cet Indien. » Ce que le jeune homme prit pour un compliment.
Le soir, il fêta l’événement par une bouteille de champagne devant un plateau de fruits de mer, suivie d’une visite à Fortune qui lui jura avoir vu l’autre jour le Peau-Rouge en train de fouiller les ordures près du quai de Rive Neuve. Enfilant son kimono, elle ajouta : « Il était petit, sec et nerveux, les cheveux raides, l’air d’un Levantin, sauf qu’il portait un costume en plumes. »
Le lendemain matin, Saint-Cyr lut son article et se reprit à croire en son avenir de journaliste. Il était paru tel que Fauconnier et lui l’avaient rédigé, si ce n’était que les typographes avaient oublié une lettre au prénom de Borely, transformé en Amboise. Eh bien, Amboise ne s’en offusquerait sans doute pas, car c’était un flic correct. Cependant, lorsque Saint-Cyr entreprit sa tournée habituelle des commissariats, il perçut une sourde hostilité dirigée contre lui. À son grand désappointement, Borely n’était pas de service à la préfecture, mais à mesure que la journée s’écoulait, il regretta de moins en moins de n’avoir pas eu à affronter le sergent. Après tout, c’était lui qui l’avait autorisé à descendre dans les cachots pour rendre visite à l’Indien.
Le jeune reporter avait mal évalué la réaction de la police à son papier. Ce qu’il avait pensé n’être qu’un appel à arracher un homme aux conditions inhumaines de sa détention, avait été ressenti comme une gifle par l’ensemble des policiers. On lui avait néanmoins communiqué les rapports, mais à contrecœur.
Devant la préfecture, légèrement à l’écart de la poignée de manifestants, il referma son calepin et, perdant de son assurance, il se demanda si cela valait bien la peine d’envisager d’écrire un deuxième article quand on voyait le peu de réactions suscitées par le premier. Même s’il doublait le nombre des personnes présentes et leur attribuait davantage d’enthousiasme, il n’y avait guère de quoi en faire un papier. De plus, il n’avait rien trouvé sur Charging Elk. Le sergent de permanence s’était borné à déclarer qu’il ne savait rien sur le Peau-Rouge et qu’il ne s’occupait pas des prisonniers.
Et s’il était mort ? Saint-Cyr connut un moment de panique et, en dépit de la fraîcheur qui régnait à l’ombre des immeubles, il sentit la sueur perler sur sa lèvre supérieure. Peut-être que le sergent voulait dissimuler le fait que Charging Elk était déjà mort et qu’on était en train de creuser sa tombe dans le quartier des indigents ! Oui, bien sûr, c’était ça. Voilà pourquoi l’homme avait refusé de donner la moindre information. Le geôlier, cette brute, n’avait pas utilisé l’argent pour améliorer l’ordinaire de l’Indien, il l’avait empoché pour s’acheter du vin et des magazines licencieux. À quoi Saint-Cyr s’était-il donc attendu ? À ce que la police accorde un régime de faveur au sauvage ?
Malgré son affolement et le nœud qui lui nouait l’estomac, le journaliste en herbe commença à composer son article dans sa tête : « Où est le Peau-Rouge ? Pourquoi la police a-t-elle interdit à un humble reporter de rendre visite au sauvage nommé Charging Elk ? Aurait-elle quelque chose à cacher ? Se pourrait-il que l’ Indien fût mort de faim, ou plus vraisemblablement de tristesse, dans les sinistres culs-de-basse-fosse de la préfecture ? Les Marseillais exigent une réponse à ces questions. L’Église se mobilise, ainsi qu’en témoigne l’importante manifestation qui a eu lieu sur les marches de la préfecture, à la tête de laquelle on a remarqué la présence des pères spirituels de la ville. Des syndicalistes et des socialistes ont été vus
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