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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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s’asseoir sur la plate-forme à dormir. À Paris, il avait mangé à plusieurs reprises du poulet, mais il n’avait pas spécialement aimé cela. La viande blanche ne possédait pas la puissance de la viande rouge de bison ou d’orignal. Là, dans sa prison, pourtant, il dévora toute la peau, léchant ses doigts pleins de gras, puis il arracha une cuisse et la dévora de même.
    Après avoir fini le poulet, il s’attaqua aux pommes de terre qu’il engloutit une à une, pratiquement sans les mâcher. Il mangea le pain noir, puis, ne quittant pas des yeux la bouteille de vin, il avala en deux gorgées la grande tasse de thé tout juste tiède.
    Il fouilla dans la poche de son manteau à la recherche du paquet de cigarettes et des allumettes que Poitrine Jaune lui avait laissés. Il restait une cigarette. Il en étudia un moment la forme presque parfaite – sa rondeur, ses extrémités bien coupées. Lui-même, ainsi que les autres Indiens de la troupe, utilisait du tabac à rouler et ne parvenait jamais à atteindre une telle perfection. Il la glissa entre ses lèvres et gratta une allumette. L’idée d’adresser des prières, de pratiquer la cérémonie de y uwipi avec le tabac ne lui vint pas à l’esprit. Et, pour la première fois depuis de nombreux sommeils, il se sentit réchauffé, satisfait de son existence, ne désirant plus y mettre fin. Il ignorait ce qu’il allait devenir, mais pour le moment, il était en paix et ne se souciait pas du lendemain.
    Le jeune Indien s’adossa au mur de pierre et regarda la fumée monter en volutes vers la fenêtre, comme portée par le rayon de lumière. Au milieu, il voyait les yeux de Poitrine Jaune, des yeux inquiets, presque effrayés par ce qu’ils lisaient sur le visage de Charging Elk. Il lui avait donné son tabac pour qu’il puisse prier, et maintenant, il lui donnait un repas de vraie nourriture et une bouteille de mni wakan. Charging Elk la boirait après avoir fumé, car il savait que Wakan Tanka avait envoyé Poitrine Jaune à son secours. Il sourit. Le Grand Mystère avait failli l’emporter après l’avoir soumis à de si rudes épreuves. Il lui avait fait entonner son chant de mort pour qu’il mette fin à ses jours, mais à présent, Il voulait que Charging Elk vive et continue à respirer l’air de cet étrange pays parmi ses étranges habitants. Peu de temps auparavant, pareille pensée lui aurait causé une immense tristesse, mais là, il se sentait heureux de pouvoir fumer sa cigarette et d’envisager une existence au jour le jour. Quoi qu’il arrive, il survivrait. Et, le moment venu, il retournerait chez lui auprès de son peuple. Wakan Tanka y veillerait.
    Madame Soulas était assise à côté de son mari dans le grand bureau que le capitaine Drossard occupait à la préfecture. Le capitaine parlait de la pêche de cet hiver qui n’avait pas été bonne – on ne trouvait que des rougets et des sardines, et à des prix astronomiques, qui plus est. Les coquillages étaient rares et fades, quant aux crevettes, elles coûtaient les yeux de la tête. Le capitaine était persuadé que les marchands de poisson se sucraient confortablement – ils avaient l’air de s’imaginer que non seulement ils attrapaient eux-mêmes les poissons, mais qu’en plus, ils les fabriquaient à partir de l’eau bleue. Bientôt, ce serait le tour des miches de pain fabriquées à partir du ciel bleu.
    René, le mari de madame Soulas, protesta aussitôt. Il était poissonnier, et également membre actif de l’Association. Depuis le début de l’hiver, il subissait les récriminations tant des pêcheurs que des clients, car la saison était mauvaise et les prix s’en ressentaient. Ne serait-ce que ce matin, des hommes qui péchaient au large du Vallon des Auffes avaient menacé de vendre leur pêche ailleurs si l’Association ne leur en offrait pas un prix équitable. Ils passeraient le reste de l’hiver à Toulon ou à Nice, où, disait-on, les pêcheurs recevaient leur juste part.
    Monsieur Soulas tenta d’expliquer que s’ils baissaient trop leurs prix, les poissonniers seraient dévalisés au bout d’une heure et en faillite au bout de deux. Le capitaine, cependant, ne voulait pas en démordre. C’était le scandale de Marseille, et l’Association mériterait d’être soumise à une enquête.
    Pendant ce temps-là, madame Soulas laissa ses pensées vagabonder. Elle demeurait opposée à l’affaire qui les amenait, mais René avait insisté,

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