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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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lui procuraient peut-être même un sentiment d’élévation morale.
    Aussi, assise à côté de lui dans le bureau du capitaine, elle regrettait amèrement le jour où René et elle, accompagnés des autres paroissiens, avaient suivi le père Daudet sur la place de la préfecture pour manifester contre l’emprisonnement du Peau-Rouge. Elle s’était sentie méritante à prier ainsi pour que le ciel protège le sauvage. Comme l’avait dit le père Daudet, c’était l’une des plus simples parmi les créatures de Dieu. Et René avait raison, naturellement : c’était leur devoir de chrétiens que d’offrir un abri à l’un de leurs semblables. Elle n’y voyait aucune objection. Après tout, ils avaient logé pendant neuf mois un jeune homme de Montpellier qui faisait ses études d’ingénieur, et comme ils ne lui réclamaient que très peu d’argent en échange du gîte et du couvert, ils ne s’étaient guère enrichis, ce qui, de toute façon, n’était pas leur but. Après, il y avait eu la petite infirmière d’Apt.
    Oui, mais là, il s’agissait tout de même d’un sauvage ! Dieu ne demandait certainement pas que les chrétiens et les sauvages vivent ensemble ! Madame Soulas secoua la tête et regarda son mari tenter d’expliquer avec patience comment le mistral et la tramontane interdisaient aux pêcheurs de sortir en mer autant qu’ils le désiraient. Le capitaine, lui, ne cessait de grommeler. On aurait cru que René avait commis un crime contre la République au lieu d’être simplement coupable de sottise.
    Et la sottise, elle était près de se faire. Ils s’étaient déjà rendus au palais de Justice pour signer les documents nécessaires. Le tribunal les avait longuement interrogés – René, surtout. Étaient-ils en mesure de fournir au sauvage le confort matériel requis ? Comment les enfants s’adapteraient-ils à la présence d’une créature si exotique ? Comment, selon eux, un sauvage allait-il s’intégrer à un milieu civilisé ? Le président du tribunal avait fini par se tourner vers madame Soulas : « Et vous, madame, êtes-vous préparée à… comment dirais-je… à satisfaire les besoins inhabituels que ce sauvage pourrait exprimer ? » Elle se souvenait de l’expression de René à ce moment-là, un sourire à mi-chemin entre la joie chrétienne et l’appréhension, mais il n’avait pas à s’inquiéter. Elle était et elle resterait sa femme. Elle se demanda ce qui serait arrivé si elle avait répondu non. Sûrement que le tribunal aurait rejeté leur requête. Mais René, quelle aurait été sa réaction ? Elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi il tenait à introduire cet Indien dans leur foyer. Cependant, il insistait avec un entêtement qui ne lui ressemblait guère, comme si sa propre famille ne lui suffisait pas. Sa piété, parfois, devenait un véritable fardeau.
    Pour la énième fois en trois jours, madame Soulas se posa la même question : « Pourquoi nous ? » Il y avait d’autres familles, sans parler des organisations humanitaires et des institutions charitables, qui n’auraient été que trop heureuses d’accueillir le sauvage. Hier soir, par exemple, deux religieuses de la Vieille Charité avaient frappé chez eux. La plus âgée avait une allure stricte dans son habit, et la plus jeune portait d’épaisses lunettes à monture de fer qui faisaient paraître ses yeux trop grands pour son visage. Elles voulaient que les Soulas renoncent à héberger le Peau-Rouge. Elles avaient l’habitude des vagabonds et des orphelins, et c’était leur devoir de s’occuper des nécessiteux. Comme René avait étouffé un petit rire devant pareille affirmation, elles avaient menacé d’en référer au père Daudet et de dénoncer le manque de moralité des Soulas. Ce qui avait mis Madeleine autant en fureur que René, de sorte que c’est elle qui les avait reconduites. Bien que le capitaine Drossard eût contesté l’honnêteté de l’Association des Poissonniers, René était l’homme le plus vertueux qu’elle eût connu. Il ne trichait jamais avec la balance et n’omettait jamais de déposer sa dîme dans la sébile. De plus, c’était le père Daudet en personne qui avait recommandé au tribunal de leur confier l’ Indien ! Voilà ce que Madeleine avait répliqué aux religieuses avant de leur claquer la porte au nez.
    Plus tard, après s’être calmée, elle s’était prise à regretter que les choses n’eussent pas

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