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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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tourné autrement. Peut-être aurait-il été préférable que René se fût rangé au point de vue des nonnes, estimant qu’elles étaient mieux placées pour aider le sauvage. Ils auraient alors continué à mener une existence normale, les enfants se seraient sentis en sécurité et le sauvage aurait été bien traité. En outre, il avait été arrêté pour vagabondage, ce qui en faisait un candidat à la Vieille Charité.
    Madame Soulas soupira. Le problème aurait pu être résolu dès hier, seulement René avait offensé les religieuses. C’était un homme bon, mais elle aurait parfois souhaité qu’il eût un peu plus de jugeote. Nous voilà dans de beaux draps ! songea-t-elle.
    Tout cela parce que, un dimanche après-midi, ils étaient allés voir le Wild West Show de Buffalo Bill. Le spectacle avait fasciné René qui avait applaudi à tout rompre l’entrée de la diligence poursuivie par les Indiens. Puis il s’était à moitié levé de son siège pour encourager les Indiens chassant les bisons, et avait même poussé des cris de sauvage quand les Peaux-Rouges avaient massacré les braves soldats. Son comportement avait horrifié sa femme, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que de nombreux spectateurs se conduisaient comme lui !
    En réalité, elle s’était surtout inquiétée pour les enfants. Plusieurs numéros les avaient effrayés. Chloé avait pleuré quand les bisons, pourchassés par les sauvages à moitié nus et aux yeux cruels, avaient martelé le sol et fait trembler les gradins démontables. Aux détonations des fusils et aux cris des soldats qui tombaient, elle avait enfoui son visage dans les jupes de sa mère. Mathias, quant à lui, avait fait le fier, ainsi que ses treize ans l’exigeaient, mais elle n’avait pas manqué de noter qu’il sursautait chaque fois que l’action était trop proche de lui ou trop bruyante. Les Américains semblaient ériger la violence en mode de vie, mais les Français étaient différents.
    Madame Soulas n’arrivait toujours pas à croire que l’un de ces Peaux-Rouges qui avaient chassé le bison et tué les soldats devait venir habiter chez eux. Qu’est-ce qui avait bien pu passer par la tête de René ? Et nos malheureux enfants ? La pauvre Chloé qui n’avait que neuf ans ! Et Mathias si impressionnable ! Avoir un sauvage assis à leur table, dormant dans leur maison ! Décidément, c’en était trop. Sans compter les voisins ! Est-ce qu’ils méritaient de côtoyer un sauvage qui risquait de terroriser leurs enfants ? Et mademoiselle Laboussier, acceptera-t-elle encore de venir donner à Chloé ses leçons de piano ?
    Pétrifiée d’angoisse, désespérée, madame Soulas entendit soudain un bruit de pas dans le couloir. Son cœur se mit à battre la chamade tandis qu’elle se préparait à affronter le Peau-Rouge.
    Or, la personne qui entra dans le bureau du capitaine était un homme grand en costume marron portant de longs favoris et une moustache bien taillée qui frisait de chaque côté de la commissure de ses lèvres. Malgré ses épais cheveux blond roux tout ébouriffés, il avait l’air de quelqu’un d’important. Il s’avança vers le bureau du capitaine et serra la main de celui-ci avec peut-être un peu trop de vigueur. Madame Soulas remarqua qu’il avait de petites oreilles collées contre son crâne et un visage délicat, pratiquement lisse. Il paraissait bien jeune pour être investi d’une telle autorité. Pendant que les deux hommes échangeaient les habituelles formules de politesse, elle constata que le nouvel arrivant parlait un français à la fois assez simple et assez mauvais. Il avait un vague accent du nord, mais les mots semblaient heurtés. À l’évidence, le français n’était pas sa langue maternelle.
    Le capitaine le présenta à monsieur et madame Soulas comme Franklin Bell, le vice-consul américain, lequel tint à leur serrer la main à tous les deux. Hormis quelques marins en goguette autour du Vieux-Port et, bien sûr, Buffalo Bill et ses cow-boys, c’était le premier Américain que Madeleine voyait. Les autres ne fréquentaient pas le quartier où elle habitait et dont elle sortait rarement. « Enchanté, madame », dit-il. Il avait des yeux de la couleur du plafond de Notre-Dame-de-la-Garde, un bleu clair si beau qu’il en paraissait irréel. Madame Soulas sentit ses joues rosir tandis qu’il s’inclinait devant elle.
    « Ainsi, madame, poursuivit-il, vous désireriez

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