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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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tandis que s’annonçaient l’hiver et les soldats. Quand il y repensait, Charging Elk se disait que les seuls moments où il s’était senti à l’aise parmi les wasichus, c’était lorsqu’il se produisait avec la troupe de Buffalo Bill. Pour la première fois de sa vie, il avait eu l’impression d’être d’une certaine manière protégé contre eux.
    Sur le boulevard, il s’arrêta devant une petite boutique qui vendait des tas d’objets intéressants, dont une petite reproduction du grand arbre de fer de Paris qui se dressait non loin de l’endroit où la troupe de Buffalo Bill avait donné ses représentations. Charging Elk et quelques autres Indiens, accompagnés de Broncho Billy, avaient pris place dans une étroite cage de fer qui les avait conduits jusqu’à une espèce de poste de guet en acier entouré de barreaux afin d’empêcher les gens de tomber. Jamais il n’était monté si haut, pas même dans les Paha Sapa, et encore se trouvait-il à peine à mi-chemin du sommet de l’arbre de fer. Il se rappela comme ils étaient demeurés soudain silencieux – plus tard, tous avaient reconnu avoir eu peur qu’un grand vent se lève et abatte l’arbre de fer. Broncho Billy en personne, lui qui savait tout, avait paru plus pâle que d’habitude.
    Le jeune Indien revint à ce qui, dans la boutique, avait attiré son attention. Près de la porte, sur un présentoir, il y avait de ces cartes-images qu’on pouvait expédier de l’autre côté de la grande eau. Plusieurs sommeils auparavant, il était passé devant et avait vu une carte-image représentant Buffalo Bill en compagnie de Red Shirt et d’un autre Lakota nommé He-knows-his-gun. Red Shirt portait son pantalon de daim bleu, une peau nouée autour de la taille et une chemise de calicot dans laquelle Charging Elk l’avait souvent vu. Ils posaient dans la maison du preneur-d’images, Buffalo Bill la main sur le cœur et les deux Indiens avec leurs pipes au creux de leurs bras croisés. Derrière eux, il y avait une toile décorée d’une grosse lune et de palmiers peints dessus. À Paris, Charging Elk lui-même s’était rendu dans la maison du preneur-d’images.
    Il entra dans le magasin et s’adressa à un jeune homme vêtu d’une chemise sans col dont les manches étaient maintenues par des élastiques. « Pardon, monsieur. » Il montra le présentoir. « Combien ? » Mathias lui avait appris à demander le prix des choses, mais comme il ne connaissait pas bien les chiffres, cela ne lui était pas d’une grande utilité. Par bonheur, le jeune homme répondit : « Trente centimes » , l’un des rares chiffres qu’il connaissait. Il paya et l’employé glissa la carte dans une petite enveloppe transparente. Charging Elk sortit, ravi de son achat. Il la donnerait à René et Madeleine.
    Remontant le cours Belsunce, il s’arrêta pour observer un homme qui mélangeait des cartes en les cachant, puis empochait l’argent que lui remettaient les gens groupés autour de lui. Charging Elk avait vu un jeu semblable à Paris, et Broncho Billy l’avait mis en garde, ainsi que les autres Indiens, affirmant que c’était de la tricherie. Certains ne l’avaient pas écouté et avaient perdu toute leur paye. Ils s’imaginaient qu’étant habiles à dissimuler les petits os pendant les parties de bâtonnets, ils n’auraient aucun mal à deviner la bonne carte.
    Charging Elk, conscient des coups d’œil furtifs qu’on lui jetait, reprit son chemin. Même dans ses habits de travail, on le remarquait autant que pendant les jours ayant suivi son évasion de l’hôpital. Il commençait néanmoins à s’y habituer, et il avait presque retrouvé le sentiment de fierté qui l’habitait lorsque, en compagnie des autres Indiens de la troupe, il défilait dans les rues de Paris. Il avait pris du poids et se sentait de nouveau plein de force. Ses cheveux avaient repoussé, bien qu’ils ne fussent pas encore aussi longs qu’avant ce terrible jour où on les lui avait coupés. Cela prendrait du temps, mais déjà, il éprouvait la satisfaction d’être redevenu lui-même parmi tous ces étrangers.
    Il était à Marseille depuis près de trois lunes et on était à présent dans la lune-des-neiges-aveuglantes, l’époque où, dans son pays, juste avant le dégel, le soleil brille sur les champs de neige lissés par le vent. Ici, il n’y avait que les rues, les immeubles et les gens – ainsi que la pluie. Bientôt les premiers

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