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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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Son cœur, comme ce jour-là, se serra. Il leva les yeux sur Chloé et, désignant le cheval, il dit : « Sunka wakan », puis en anglais : « Horse. » Elle sourit et répéta : « Cheval. »
    Depuis qu’il travaillait pour le marchand de poisson, il recevait chaque samedi après-midi un certain nombre de francs qu’il dépensait en tabac, en nougat et en réglisse pour lui et les enfants de René et de Madeleine. Bien qu’elle se refusât toujours à s’adresser directement à lui, Madeleine paraissait un peu plus à l’aise en sa présence. Au lieu de l’ignorer sauf pendant les moments où elle remplissait son assiette ou prenait son linge sale, elle se tournait quelquefois vers lui pour le regarder, en général lorsqu’elle discutait avec son mari. Charging Elk ignorait de quoi ils parlaient, mais aux coups d’œil qu’elle lui jetait de temps en temps, il déduisait qu’elle commençait à le considérer comme un être humain et non comme quelque étrange objet ou bête sauvage qu’on examine avec curiosité ou, peut-être, avec crainte. Il savait que certains Américains et certains Français réagissaient ainsi. Il l’avait lu dans les yeux écarquillés des spectateurs quand il fonçait exprès au grand galop sur les barrières pour les éviter au dernier moment, soulevant un nuage de poussière et parfois de boue.
    Les enfants, c’était différent. Depuis sa première rencontre avec eux – au cours de ce désastreux repas de soupe de poisson où il avait dû monter en hâte dans sa chambre pour vomir dans le seau de toilette, à la suite de quoi il avait été malade toute la journée du lendemain –, ils devenaient chaque jour plus proches de lui. Mathias, notamment, passait souvent une heure ou deux en sa compagnie à lui apprendre des mots ou des phrases entières. Parfois, toute la famille restait après dîner pour écouter Chloé interpréter de petits morceaux au piano. Madeleine, les sourcils froncés, semblait marquer la mesure avec les longs bâtons servant à tisser des vêtements.
    À neuf heures, tout le monde montait se coucher. À Paris, les Indiens des réserves avaient montré à Charging Elk comment lire l’heure des wasichus, si bien que lorsque la pendule au-dessus de la cheminée sonnait neuf coups, il savait que la soirée était terminée, et il éprouvait alors une vague déception à l’idée de ne pas revoir les enfants avant l’après-midi du lendemain. Il se réveillait très tôt – tâchant de se rappeler un geste que Chloé avait fait ou un nouveau mot que Mathias lui avait appris – et attendait que René frappe à sa porte alors que l’aube naissait à peine. Il en allait ainsi chaque jour, à l’exception du dimanche. Le samedi, ils travaillaient aussi, mais la soirée se prolongeait plus longtemps et la famille paraissait plus gaie. Mathias chantait en s’accompagnant de son instrument de musique muni de cordes et d’un long manche. René et Chloé se joignaient quelquefois à lui, et il arrivait même que René se mette à danser. Un jour, il avait forcé le grand Indien à se lever et, lui tenant les mains, l’avait fait tournoyer sans cesser de fredonner. Il demandait tout le temps à Charging Elk de chanter, mais celui-ci était trop timide. Par ailleurs, les chants des Soulas n’étaient pas les siens. Strikes Plenty et lui chantaient souvent dans leur tipi, et même sur la piste, tout comme, au Bastion, ils jouaient du tambour et chantaient avec les autres. Ces chants, il les comprenait, de même qu’il comprenait le langage des tambours. Pourtant, au spectacle de cette famille heureuse, il se sentait presque heureux, lui aussi, quoique son bonheur vînt pour une part de ce qu’il se rappelait comment son peuple célébrait ce dernier été, celui de la bataille de l’Herbe Grasse, oubliant pour un temps son avenir précaire. Il se souvenait comment le campement, cet été-là, devenait de plus en plus peuplé à mesure que les Indiens fuyant la réserve se joignaient à eux au pays des bisons. Il se souvenait des nuits passées à chanter et à danser pour fêter la réunion du peuple. Et il se souvenait d’avoir pensé que cette belle vie durerait éternellement, que les chefs, Crazy Horse et Sitting Bull, le grand Hunkpapa, les mèneraient en un lieu où il n’y aurait pas de wasichus, où ils pourraient vivre en paix selon la voie des anciens. Puis il se souvenait de la faim et de la maladie, des combats et des exodes

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