A l'écoute du temps

à ce qu'on appelait «la banane», à
l'école Champlain.
     
    Lorsque l'adjoint
vit Richard Morin debout devant la porte de sa classe, un petit sourire mauvais
illumina son visage. Il s'en approcha sans se presser et prit la peine de
fermer doucement la porte de la classe avant de se tourner vers l'élève fautif.
     
    — Encore toi,
hein! Ça fait longtemps que t'as pas fait parler de toi et je suppose que ça te
fatiguait. Comment tu t'appelles déjà?
     
    — Richard Morin.
     
    — Monsieur.
     
    — Monsieur,
répéta docilement l'adolescent.
     
    362 UN SÉJOUR
HOULEUX
     
    — Est-ce que je
peux savoir pourquoi monsieur Nantel t'a mis à la porte? demanda Hervé Magnan
en tirant de la poche intérieure de son veston l'épaisse bande de caoutchouc
noir qu'il utilisait pour punir les élèves indisciplinés.
     
    — Je lui ai dit
que son cours était plate, murmura Richard.
     
    — Je suppose que
tu trouves ça poli?
     
    — Non, monsieur.
     
    — Tends la main
gauche.
     
    Richard tendit la
main droite.
     
     
     
    — Je t'ai dit la
gauche, précisa sèchement l'adjoint. Si tu la retires, je te préviens que ce
sera pas cinq coups que tu vas avoir, mais dix.
     
    Richard encaissa
sans broncher les cinq coups de courroie administrés de main de maître par
Hervé Magnan. La main lui cuisait et il la sentait enfler à chaque coup.
Cependant, il se fit un point d'honneur de ne pas broncher, même s'il avait les
larmes aux yeux quand la sanction prit fin.
     
    — À cette heure,
rentre en classe et tiens-toi comme du monde, lui ordonna Magnan en lui ouvrant
la porte.
     
    L'adjoint fît un
signe de tête à l'enseignant avant de refermer la porte derrière Richard.
     
    La correction
reçue eut au moins l'avantage d'inciter l'adolescent à revenir sur terre et à
moins rêver à son amie de coeur, du moins durant les heures de classe.
     
    Si cette semaine
ne fut pas facile pour Richard, elle fut encore plus pénible pour sa mère qui
devait passer toute la journée en présence de sa belle-mère qui ne faisait
guère d'efforts pour être aimable. Dès le mardi après-midi, elle sentit le
besoin de se réfugier une heure chez Emma Gravel, la voisine qui demeurait à
l'étage, même si cette dernière n'avait jamais été une amie intime. Après 363
trois jours en compagnie de Lucille Morin, elle n'en pouvait plus.
     
    — Si encore elle
dormait tard, la vieille maudite! dit-elle à la femme du chauffeur de taxi. Pas
de saint danger! Elle est debout avant tout le monde le matin, pas un poil de
travers, déjà prête à m'écoeurer.
     
    — Voyons donc,
madame Morin! Votre belle-mère peut pas être aussi pire que ça, tentait de la
raisonner Emma Gravel.
     
    — Vous pensez,
vous! Après le déjeuner, elle s'écrase dans une chaise berçante tout
l'avant-midi avec son tricot et elle me surveille. Si je m'allume une
cigarette, ça manque pas. Elle me regarde avec un petit air dégoûté. A matin,
par exemple, elle m'a dit avec sa bouche en cul de poule: «Vous pensez pas,
Laurette, que c'est pas très beau une femme qui fume?» J'ai beau lui répéter
que je fume depuis des années et qu'on n'arrête pas ça comme on veut, elle
comprend rien. Elle trouve que ça fait vulgaire.
     
    — Elle a pas osé
vous dire ça en pleine face, j'espère? demanda la voisine.
     
    — Ben oui, madame
chose. Bout de viarge, qu'elle me fatigue! reprit Laurette en allumant une
cigarette. À l'entendre, je fais tout de travers dans la maison. Elle a
toujours une petite remarque pour me faire comprendre que mon lit est mal fait,
qu'il y a un peu de poussière sous les lits ou encore que je cuis pas assez la
viande. Vous pouvez pas savoir à quel point j'ai hâte qu'elle sacre son camp. Je
sens que je vais finir par éclater.
     
    — Qu'est-ce
qu'elle fait le reste du temps? demanda la voisine. Elle passe tout de même pas
tout son temps à tricoter.
     
    — Moi, je pensais
qu'elle irait au moins faire un somme l'après-midi, juste pour me laisser souffler
un peu.
     
    Ben non, ça
aurait été trop beau. Elle passe ses après364 UN SÉJOUR HOULEUX midi à lire
dans la cuisine ou à faire ses jeux de patience sur la table. Et c'est pas
mieux le soir. Si on a le malheur de pas avoir un bon programme au radio, elle
se dépêche de nous mettre ça à un poste qui fait jouer juste de la musique
plate, celle qui est à dormir debout. Vous savez, le genre de musique où les
chanteuses chantent comme des cochons qu'on