A l'écoute du temps
que j'ai pas dérangé personne.
359 Gérard lança
un regard d'avertissement à sa femme.
— Ben non, m'man.
En tout cas, nous autres, on n'a rien entendu.
La grand-mère
releva la toile qui masquait l'unique fenêtre de la cuisine. Elle ne vit que la
cour encore plongée dans l'obscurité et les marches de l'escalier qui menaient
à l'étage couvertes d'une nouvelle couche de neige.
— C'est bien ce
que j'avais cru voir de la fenêtre de ma chambre, dit-elle. Il a encore neigé
durant la nuit. Ce pauvre Rosaire va encore avoir pas mal d'ouvrage à faire ce
matin.
— En plein
dimanche! Pourquoi vous dites ça, m'man? demanda Gérard.
— Même le
dimanche, lui répondit sa mère, quand il neige, ton beau-frère doit aller
déneiger toutes les autos à vendre qu'il a sur le terrain de son garage. Il dit
que s'il faisait pas ça, pas un client viendrait les examiner et il vendrait
rien.
— Il a tout de
même pas des centaines de chars à vendre, madame Morin, lui fit remarquer
Laurette sur un ton acide.
— Il en a pas
mal, ma fille.
— En tout cas, on
peut pas dire que cette job-là a l'air de le faire mourir, répliqua sa bru,
sarcastique. Rosaire fait pas encore pitié à voir. Il est gras à plein lard,
comme disait mon pauvre père.
Richard entra
dans la cuisine à ce moment-là, clignant des yeux à cause de la lumière du
plafonnier.
— Pourquoi est-ce
que tu te lèves aussi de bonne heure? lui demanda sa mère. On est dimanche et
t'as pas de messe à aller servir. Tu peux même pas déjeuner.
— Je le sais,
m'man. J'ai mal dormi. Je pense que le bonhomme Gravel en haut a laissé marcher
le moteur de 360 UN SÉJOUR HOULEUX son maudit taxi toute la nuit devant la
porte. J'ai pas arrêté de me réveiller.
En fait, c'était le
souvenir de Monique qui l'avait empêché de bien dormir. Depuis que
l'adolescente lui avait dit qu'ils ne pourraient plus se voir, il cherchait
désespérément un moyen de contourner l'obstacle que les parents de la jeune
fille avaient dressé entre eux. Il avait même songé à aller sonner à leur porte
pour leur expliquer qu'il aimait leur fille.
— C'est drôle,
moi, j'ai rien entendu, dit la grand-mère.
— Ça se peut, fit
Laurette en faisant les gros yeux à son fils qui savait fort bien d'où
provenait le bruit qui l'avait éveillé à plusieurs reprises durant la nuit.
Cette troisième
semaine de janvier marquée par le séjour de Lucille Morin chez son fils ne fut
pas ordinaire, loin de là.
Richard ne
cessait de penser à sa petite amie et promenait un visage si morose que sa mère
avait fini par dire:
— Toi, t'as l'air
de me couver quelque chose. À soir, je vais te donner une purgation à l'huile
de ricin. Ça va te faire du bien.
— Ben non, m'man,
je suis correct, avait protesté son fils qui s'était empressé de s'habiller
pour retourner à l'école.
Chaque fois qu'il
parcourait la rue Fullum, Richard songeait à Monique et il avait les yeux
pleins d'eau.
Depuis le lundi
précédent, il s'installait devant l'église dès la fin des classes pour l'unique
plaisir de voir son amie passer. Il aurait tant aimé la prendre par la main et
lui parler, comme il l'avait fait pendant quelques mois; mais c'était
maintenant impossible. La jeune fille était 361 toujours accompagnée de la
voisine. Elle lui faisait à peine l'aumône d'un sourire au passage. Chaque
fois, il retournait à la maison, plus malheureux qu'avant.
Évidemment, son
comportement en classe changea. Il devint si distrait que Louis Nantel se mit à
le harceler. Un jour, durant un cours d'analyse grammaticale, l'enseignant, à
bout de patience, lui demanda sur un ton sarcastique:
— Aie! la lune,
est-ce qu'on peut savoir pourquoi tu suis pas?
— Parce que c'est
plate, répondit Richard, sans réfléchir.
— Si c'est
«plate», comme tu dis, répliqua sèchement l'instituteur, tu vas avoir la chance
de continuer à rêver, mais debout dans le couloir, face au mur, devant la
porte.
Et laisse la
porte ouverte.
L'adolescent
sortit du local en affichant une mine de condamné. Il savait fort bien qu'il
n'échapperait pas au directeur-adjoint. Hervé Magnan faisait plusieurs tournées
chaque jour dans les couloirs de l'institution, effectuant une chasse
incessante aux indisciplinés. Chaque fois qu'il apercevait un élève en punition
dans le couloir, ce dernier avait droit
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