A l'écoute du temps

chaise et prit la
direction de sa chambre en arborant une mine offensée.
     
    Gérard laissa
passer une dizaine de minutes avant d'aller voir sa femme dans leur chambre à
coucher. Laurette ne dormait pas. Elle était étendue dans l'obscurité.
     
    — Là, je
t'avertis, lui dit-elle d'une voix sifflante en se soulevant sur un coude. Si
ta maudite mère continue à me faire suer, tu vas la retrouver étendue sur la
corde à linge, dans la cour.
     
    — Voyons,
Laurette. Elle disait pas ça pour être méchante.
     
    — Non. Est-ce que
tu me prends pour une folle? Elle disait ça pour me faire plaisir, je suppose!
     
    — Elle est
vieille.
     
    367
     
    — Vieille ou pas,
je m'en sacre! Je l'endurerai pas comme ça une deuxième semaine. Tu m'as
compris? Ça va faire! Parle-lui avant que je perde patience.
     
    — Je lui ai
parlé. Elle voulait pas t'insulter.
     
    Il y eut un bref
silence dans la chambre avant que Laurette demande à son mari:
     
    — Est-ce que tu
trouves que j'ai tant engraissé que ça?
     
    — Ben non.
     
    — C'est ben ce
que je me disais aussi, bâtard! Je me suis pesée tout à l'heure. Je pèse
exactement la même chose que cet automne.
     
     
     
    — Combien?
demanda naïvement Gérard.
     
    — Ça, c'est pas
de tes maudites affaires, Gérard Morin! Occupe-toi de ta mère, ça va être ben
plus utile.
     
    Gérard quitta la
pièce. Sa femme lui avait menti. Elle avait tiré de dessous le lit le
pèse-personne qu'elle s'était bien gardée de consulter depuis la diète qu'elle
s'était imposée plusieurs mois auparavant. Deux cent seize livres! Deux cent
seize livres! Ça n'avait, aucun sens.
     
    Elle n'avait
pourtant pas mangé plus que d'habitude.
     
    Elle avait pris
onze livres depuis l'automne. Il n'y avait évidemment qu'une seule explication:
le pèse-personne était défectueux.
     
    Deux jours plus
tard, Jean-Louis rentra du travail avec un visage épanoui. Le jeune homme
s'empressa de communiquer la bonne nouvelle à ses parents dès qu'il eut retiré
son paletot.
     
    — Je l'ai eu!
annonça-t-il sur un ton triomphant.
     
    — De quoi tu
parles? lui demanda sa mère, occupée à dresser le couvert avec l'aide de Carole
et de sa belle-mère.
     
    368 UN SÉJOUR
HOULEUX
     
    — Ma nouvelle
job, m'man. À partir de demain, je travaille à la comptabilité. Je suis plus
étalagiste.
     
    — C'est toute une
bonne nouvelle, reconnut sa mère, rayonnante de fierté. T'as tellement
travaillé dur pour l'avoir, je suis contente pour toi.
     
    — Moi aussi, dit
son père.
     
    — Est-ce que ça
va te rapporter un meilleur salaire? lui demanda sa grand-mère.
     
    — Non,
grand-mère. Je vais gagner le même salaire, mais je vais faire moins d'heures.
Jacques, le gars qui m'a aidé à avoir cette job-là, m'a dit que ça se peut que
Dupuis nous donne une petite augmentation le printemps prochain.
     
    — Tant mieux, fit
sa mère.
     
    — Ah oui, je
voulais vous dire. Demain soir, je viendrai pas souper. Les employés font une
fête pour les deux vieux qui partent à la retraite.
     
    Le lendemain, en
début de soirée, la neige se mit à tomber. Un peu après neuf heures, Denise
rentra à la maison en compagnie de son frère Gilles. Tous les deux étaient
couverts de gros flocons.
     
    — Je sais pas
pourquoi le bonhomme Beaudry a pas fermé le magasin avant neuf heures, dit la
jeune fille en retirant son manteau. On n'a pas eu un chat depuis sept heures.
     
    — Moi, en tout
cas, porter des commandes avec un traîneau, j'haïs ça à mort, dit son frère
Gilles en tendant sa paie à sa mère. J'aime ben mieux le bicycle.
     
    — Des plans pour
te casser la gueule sur la glace, intervint Richard en train d'écouter Nazaire
et Barnabé à la radio avec ses parents.
     
    — J'ai pas fait
vingt-cinq cennes de tip. J'ai été porté trois commandes dans des troisièmes
étages sur Iberville et sur Frontenac. Tout ce que j'ai eu, c'est un merci.
     
    369
     
    — Bon. Arrête de
te plaindre et mange une couple de biscuits avant d'aller te coucher, dit sa
mère. Toi, Richard, va me chercher une chaudière de charbon dans la cave et
essaie de pas en échapper dans l'escalier.
     
    Un peu avant onze
heures, il y avait longtemps que les jeunes étaient au lit. A entendre les
ronflements en provenance de l'ancienne chambre à coucher de Jean-Louis,
grand-mère Morin dormait déjà du sommeil du juste, elle aussi. Elle s'était
retirée dans sa chambre un peu avant neuf