A l'écoute du temps

heures quand elle s'était rendu
compte que son fils et sa bru s'apprêtaient à écouter du burlesque à la radio.
Elle avait horreur de ce genre d'émission. Elle tolérait à peine Je vous ai
tant ai?né et Rue principale, émissions que Laurette n'aurait pas ratées pour
un empire. Lorsque Carole lui avait vanté Zézette qu'on pouvait écouter le
samedi avant- midi, sa grand-mère s'était bornée à lui dire que c'étaient des
«niaiseries» qui ne rapportaient rien à une jeune fille.
     
    Après avoir mis
du charbon dans la fournaise du couloir et éteint les lumières, Laurette et
Gérard s'étaient glissés entre le mur et le lit pliant de Richard pour
rejoindre leur chambre où ils se préparèrent pour la nuit.
     
    — J'ai assez hâte
de plus avoir ce maudit lit-là dans les jambes, déclara Laurette en endossant
sa robe de nuit.
     
    — Il reste juste
une semaine, répliqua son mari, aussi agacé qu'elle par cet encombrement contre
lequel il butait chaque nuit quand il allait ajouter du charbon dans la
fournaise ou en se rendant aux toilettes.
     
    Tous les deux se
mirent au lit après avoir fait leur courte prière du soir en commun.
     
    Bien après
minuit, les habitants de l'appartement du 2318, rue Emmett furent brutalement
tirés du sommeil par des cris stridents.
     
     
     
    — Au secours! Au
secours! Il y a un homme dans mon lit! 370 UN SÉJOUR HOULEUX D'autres cris de
femmes firent écho aux premiers.
     
    Laurette, tirée
brutalement du sommeil, fut la première à s'asseoir brusquement dans son lit et
à secouer son mari qui ronflait à côté d'elle.
     
    — Voyons donc,
bonyeu! Qu'est-ce qui se passe encore? Envoyé, Gérard! Réveille-toi! On dirait
que c'est ta mère et les filles qui crient comme des folles.
     
    Lève-toi!
     
    — Il y a un homme
dans ma chambre! répéta la voix affolée de Lucille Morin.
     
    Pendant que
Gérard tentait de reprendre pied dans la réalité, sa femme s'était jetée sur sa
robe de chambre et était déjà rendue à la porte.
     
    — Envoyé!
Grouille! Qu'est-ce que t'attends? Son mari, mal réveillé, finit par se lever
et se décida à saisir ses lunettes déposées sur sa table de nuit.
     
    — Quelle heure il
est?
     
    — Laisse faire
l'heure qu'il est et lève-toi! Je te dis qu'il y a quelqu'un dans la chambre de
ta mère!
     
    — Qui crie comme
ça?
     
    — C'est ta mère
et les filles, répéta Laurette en se précipitant hors de la chambre, son mari
sur ses talons.
     
    Laurette ouvrit à
la volée la porte de la chambre située en face de la sienne et alluma le
plafonnier. Tous les deux découvrirent un spectacle qui les laissa sans voix
durant un instant. Lucille Morin, sans ses prothèses dentaires et la tête
couverte d'une résille, était à genoux dans son lit et frappait à grands coups
de livre un Jean- Louis, assis par terre, se protégeant la tête avec les mains
du mieux qu'il pouvait. La vieille dame était déchaînée et hurlait autant
qu'elle le pouvait. Dans la chambre voisine, Denise et Carole, serrées l'une
contre l'autre, étaient debout dans une encoignure de la pièce et criaient
elles aussi.
     
    371
     
    — Arrêtez, madame
Morin! cria Laurette à sa belle-mère qui continuait à frapper son fils. Vous
voyez ben que c'est juste Jean-Louis.
     
    — Ça va faire,
sacrament! hurla Gérard en repoussant Laurette de côté. Qu'est-ce qui se passe
ici dedans? Le silence retomba d'un seul coup dans la pièce. Mes filles étaient
si peu habituées à entendre leur père élever la voix et jurer qu'elles
s'étaient tues d'un seul coup. La grand-mère venait enfin de se rendre compte
sur qui elle frappait. Richard et Gilles, alertés aussi par les cris, se
tenaient dans l'embrasure de la porte et avaient toutes les peines du monde à
se retenir pour ne pas rire de la scène loufoque qu'ils avaient sous les yeux.
     
    — Toi, qu'est-ce
que tu fais dans la chambre de ta grand-mère en pleine nuit? demanda sèchement
Gérard à son fils.
     
    Le jeune homme se
remit sur ses pieds tant bien que mal en se massant la tête, l'air passablement
perdu.
     
     
     
    — Ben. C'est ma
cham... chambre, dit-il d'une voix pâteuse. Qu'est-ce... Qu'est-ce qu'elle
fait, elle, dans mon lit?
     
    — Tu vois ben que
c'est pas ta chambre, innocent! Ta chambre est en arrière avec Gilles.
     
    — Je m'en sou...
souvenais plus pan... pantoute, répondit Jean-Louis en se dirigeant déjà d'un
pas mal assuré vers la porte.
     
    — Mais il