A l'écoute du temps

beurrer.
     
    — Et toi, Gilles?
demanda sa mère.
     
    L'adolescent
fronça les sourcils, apparemment à la recherche d'une résolution qu'il serait
capable de tenir.
     
     
     
    — Ben, je
pourrais peut-être acheter un petit Chinois toutes les semaines,
     
    — Comment ça,
«acheter un Chinois»? demanda Laurette.
     
    — Ben oui, m'man.
A l'école, ils ont commencé à vendre des Chinois. Ils coûtent vingt-cinq cennes
chacun et ils nous donnent une image quand on en achète un.
     
    — Bout de viarge!
s'emporta la mère. Ils arrêtent jamais de quêter, eux autres! Il me semble que
ça fait pas longtemps qu'ils vous demandaient de l'argent pour faire péter un
thermomètre, non?
     
    — C'était avant
Noël, m'man, l'informa Carole.
     
    — Ouais. Puis,
après ça, ils vous ont demandé d'apporter des cannages à l'école pour les
pauvres.
     
    Bonyeu! Ils sont
pas capables de voir que c'est nous autres, les pauvres.
     
    — Ma résolution
est bonne, non? demanda Gilles.
     
    — Pantoute. Garde
ton argent pour payer des choses utiles. Laisse faire les Chinois, lui ordonna
sa mère.
     
    — D'abord, je
pourrais promettre d'aller faire toutes vos commissions sans jamais chialer.
     
    — Aïe! c'était
pour être ma résolution! protesta Richard.
     
    — Il est trop
tard, décréta sa mère.
     
    — Si c'est comme
ça, je promets de sortir les poubelles toutes les semaines, suggéra
l'adolescent.
     
    — Tu le fais
pareil, lui fit remarquer sa mère. C'est pas une résolution.
     
    456 DES
SACRIFICES
     
    — Si j'arrêtais
de le faire, est-ce que ça serait correct?
     
    — Richard! le
menaça sa mère.
     
    — OK. Tiens! je
mangerai pas de dessert du carême.
     
    — Ça, ça a du bon
sens, consentit sa mère avec un léger sourire.
     
    — Et vous, m'man,
c'est quoi votre résolution? demanda son plus jeune fils.
     
    — Ben, vous
endurer.
     
    — C'est comme
pour moi avec les poubelles, vous le faites déjà, triompha Richard. Vous
pourriez peut-être vous priver de dessert comme moi, suggéra-t-il.
     
    — Non. Je vais
faire quelque chose de plus dur encore, dit la mère sur un ton décidé. Je
fumerai pas durant tout le carême.
     
    — Ayoye! ça, ça
va être dur, dit l'adolescent sur un ton admiratif.
     
    — Qu'est-ce que
t'en sais, toi? répliqua sa mère qui regrettait déjà de s'être laissée
entraîner à promettre une telle chose. T'as jamais fumé.
     
    Un coup de pied
de Gilles prévint l'adolescent de changer de sujet de conversation.
     
    — J'ai ben hâte
de voir ce que Jean-Louis va promettre, lui, dit Carole en se levant pour aller
porter son bol de soupe vide dans l'évier.
     
    — Il va peut-être
promettre de plus dépenser en fou pour rien, se moqua Richard.
     
    Sa mère lui jeta
un regard mauvais qui l'incita à ne pas poursuivre. Avant de retourner à
l'école, les deux frères se retrouvèrent un moment dans leur chambre.
     
    — Tu vas trouver ça
long jusqu'à Pâques de pas manger de dessert, fit remarquer Gilles à son jeune
frère.
     
    — Es-tu malade,
toi? Je peux me passer facilement de manger des maudits biscuits Village qui
goûtent rien. En tout cas, je pense que m'man va avoir pas mal plus de 457
misère de pas fumer. Tu te rappelles pas d'il y a deux ans? Elle a pas tenu
trois jours. Une chance! Elle était pas endurable. Elle était toujours sur
notre dos.
     
    — On verra ben,
répondit Gilles, philosophe. En tout cas, toi aussi, tu vas trouver ça dur
qu'elle fume plus.
     
    — Pourquoi?
     
    — Aïe! T'es pas
brillant, toi! se moqua son frère. Si elle fume plus, elle se fera plus de
cigarettes et toi, où est-ce que tu vas en trouver? Tu pourras plus lui en
voler.
     
    — Ah ben, maudit!
J'y avais pas pensé pantoute! admit son frère, l'air songeur. Il va rester
juste toi pour m'en fournir.
     
    Gilles eut une
grimace à la pensée des conséquences possibles qu'allait entraîner la promesse
de sa mère.
     
    À la fin de
l'après-midi, les garçons achevaient de déneiger le balcon quand leur père
revint de son travail.
     
    Denise et
Jean-Louis le suivirent de peu. Tous les Morin se retrouvèrent dans la cuisine
et Laurette se mit à servir à chacun une assiettée de pommes de terre
accompagnée de ce qu'elle appelait de la sauce aux oeufs.
     
    — On n'a pas de
viande à soir? demanda Gérard, étonné.
     
    — Au cas où tu
l'aurais oublié, rétorqua sa femme, c'est mercredi des Cendres aujourd'hui.
C'est une journée