A l'écoute du temps
maigre, comme un vendredi.
— Sacrifice!
s'exclama Jean-Louis. Je viens de comprendre pourquoi j'avais juste des
sandwichs au beurre de peanut dans mon lunch.
— Au cas où vous
l'auriez oublié, dit la mère de famille, je vous rappelle que le carême est
commencé.
Carole, Gilles,
Richard et moi, on a déjà pris nos résolutions. Je voudrais ben savoir ce que
vous avez décidé de faire, vous autres, pendant le carême, ajouta-t-elle en
regardant tour à tour son mari et ses deux aînés.
458 DES
SACRIFICES Il y eut dans la cuisine un moment de flottement.
— Moi... commença
à dire Gérard.
— Je vais la
prendre pour toi, ta résolution, le coupa sa femme. Tu vas promettre de te
forcer à manger comme du monde à tous les repas. Ça a pas d'allure, tu manges
presque rien depuis que t'as eu la grippe.
Gérard ne
protesta pas et prit encore deux ou trois bouchées dans l'assiette qu'il venait
de repousser pour indiquer qu'il n'avait plus faim.
— Moi, m'man, je
boirai pas de liqueur du carême, annonça Denise sur un ton décidé.
— Et toi,
Jean-Louis?
— Est-ce qu'on
est obligé de prendre une résolution?
— On en prend
toujours une pour le carême, lui fit remarquer sa mère sans le brusquer.
— Promets que tu
vas me donner vingt-cinq cennes par jour pour t'endurer, lui suggéra Richard
pour se moquer de l'avarice de son frère.
Jean-Louis fit
comme s'il ne l'avait pas entendu. Après un court moment de réflexion, le jeune
homme déclara:
— Je vais aller à
la messe une fois par semaine en dehors du dimanche.
— Toute une
promesse! se moqua Richard. Il y a personne qui va être capable de contrôler
ça.
— Richard Morin,
mêle-toi de tes maudites affaires! lui ordonna sèchement sa mère.
Satisfaite
d'avoir bien rempli son rôle de mère chrétienne en ce mercredi des Cendres,
Laurette se leva et entreprit, avec l'aide de Denise et de Carole, d'enlever
les assiettes et d'apporter le dessert. Richard se retira alors de table sans
manifester la moindre réticence.
Après avoir lavé
la vaisselle, la mère de famille demanda si quelqu'un avait l'intention de
l'accompagner à l'église pour la cérémonie d'imposition des Cendres.
459
— Moi, je file
pas assez ben pour sortir, déclara Gérard dont le visage disait assez
l'épuisement.
— J'y serais ben
allé, m'man, intervint Jean-Louis en feignant le regret, mais Jacques Cormier
est supposé venir me chercher. On doit aller voir un gars qui travaille avec
nous autres. Il est malade. Il reste sur la rue Ontario, proche de Parthenais.
— C'est vrai que
c'est pas une obligation d'aller à cette cérémonie-là, dit immédiatement
Laurette. En plus, on dirait qu'il neige à plein ciel. Je pense que j'irai pas.
Jean-Louis
disparut dans sa chambre.
— Si vous voulez,
m'man, je peux y aller avec vous, proposa Denise.
— Laisse faire,
lui répondit sa mère à mi-voix. Ça fait assez longtemps que j'attends pour voir
ce Jacques Cormier-là. Je suis pas pour sortir quand on va lui voir enfin la
face.
Un coup de
sonnette impératif fit sursauter la mère de famille. Avant même qu'elle ait pu
dire à l'un des siens d'aller ouvrir, la porte de la chambre de Jean-Louis
s'ouvrit et le jeune homme alla répondre à la porte.
Laurette attendit
un moment que son fils vienne lui présenter le visiteur. Elle n'entendait que
des chuchotements dans l'entrée.
— Jean-Louis,
viens donc nous présenter ton ami! cria-t-elle du fond de la cuisine.
Il y eut d'autres
chuchotements dans le couloir et son fils finit par apparaître dans la pièce,
suivi par un jeune homme âgé d'une trentaine d'années à la mise irréprochable.
De taille
moyenne, Jacques Cormier avait un visage ouvert aux traits fins éclairé par des
yeux bruns assez expressifs. Il arborait une mince moustache blonde.
Il était habillé
avec une certaine recherche.
460 DES
SACRIFICES
— M'man, p'pa, je
vous présente Jacques Cormier.
— Bonjour, dit le
visiteur en s'empressant de tendre une main soignée au père et à la mère de son
ami. Jean- Louis m'a beaucoup parlé de vous.
— Assoyez-vous,
lui offrit Gérard qui avait hésité entre le tutoiement et le vouvoiement.
L'invité, à
l'aise malgré tous ces regards qui le fixaient, s'assit.
— Je finis de me
préparer et on y va, dit Jean-Louis en plantant là
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