A l'écoute du temps

son tour la rue
Sainte-Catherine, une trentaine de pieds avant l'église.
     
    A cet instant
précis, Richard Morin reconnut sa Monique. C'était elle que le garçon attendait
et qu'il venait 452 d'embrasser. Son coeur se serra douloureusement dans sa
poitrine et il se sentit soudain profondément malheureux.
     
    La fille qu'il
aimait le trompait avec un autre, un garçon de huitième, peut-être même de
neuvième année. Si ce dernier avait été moins grand, il se serait précipité sur
lui pour lui casser la figure et il aurait demandé des comptes à celle dont il
rêvait depuis des mois.
     
    Comment était-il
possible qu'elle permette à ce gars-là de la raccompagner chez elle? À
l'entendre, ses parents l'avaient menacée de l'envoyer au couvent si elle ne se
laissait pas accompagner par la voisine... Elle lui avait menti. Elle avait ri
de lui. Il avait du mal à croire à une telle trahison de la part de celle qu'il
aimait.
     
    — Elle a dû avoir
ben du fun de me voir geler à l'attendre devant l'église quand elle passait
devant moi avec la grande niaiseuse, se dit-il, fou de rage. Je devais avoir
l'air d'un beau nono! Malgré tout, il avait de la peine à croire ce qu'il
venait de voir quand l'infidèle passa devant lui, de l'autre côté de la rue..
Elle dut le voir, seul, planté devant l'église, mais elle ne lui adressa même
pas un regard.
     
    Malheureux comme
les pierres, Richard enfonça profondément les mains dans les poches de son
manteau et prit le chemin de la maison, en ruminant toutes sortes de vengeances
plus cruelles les unes que les autres. Elle allait lui payer ça.
     
    Ce soir-là, sa
mère se demanda s'il ne couvait pas quelque chose quand elle se rendit compte
qu'il ne mangeait pratiquement rien au souper. Après ses devoirs, l'adolescent
prit la direction de sa chambre et alla se coucher sans attendre qu'il soit
huit heures.
     
    Ses scénarios de
vengeance le tinrent éveillé bien après que tous les membres de la famille se
furent endormis.
     
    Il songea à aller
dénoncer l'infidèle à la mère de cette 453 dernière. Il l'imagina avec plaisir
recevant une raclée bien méritée. Puis, il eut l'idée d'envoyer une lettre
anonyme à la directrice de l'école Sainte-Catherine et il s'amusa à la pensée
des conséquences prévisibles de son geste. Le père de Monique irait sûrement
brasser l'amoureux, peut-être même le frapper avant de placer sa fille en
pension au couvent. Il la voyait presque venant le supplier de la protéger
encore, mais cette fois de ses parents et de son nouvel amoureux qu'elle
n'aimait plus parce qu'il n'avait rien fait pour la défendre. Il finit par
s'endormir au moment où il la repoussait avec mépris.
     
    Les jours
suivants, ses scénarios de vengeance se firent de plus en plus flous. La
douleur devint moins vive. Pour tout dire, avec le temps, toute cette aventure
ne laissa en lui qu'un vague regret et le souvenir de l'humiliation d'avoir été
trahi.
     
    Chapitre 19 Des
sacrifices Le mercredi suivant, Richard rentra à la maison pour dîner, tout
excité. Il venait à peine de mettre les pieds dans la maison qu'il se
chamaillait déjà avec son frère Gilles.
     
     
     
    — Toi, tu te
calmes! lui ordonna sa mère en déposant un bol de soupe devant Carole, déjà
attablée. C'est la neige qui tombe qui t'énerve comme ça?
     
    — Non, m'man.
Mais cet après-midi, on va finir l'école plus de bonne heure.
     
    — Qu'est-ce qui
se passe encore? demanda Laurette.
     
    Pas encore une
visite de l'inspecteur?
     
    — Ben non, m'man.
Vous vous souvenez pas? intervint Gilles. C'est mercredi des Cendres. On va à
l'église à deux heures.
     
    — Et après, on va
pas retourner à l'école, précisa Richard, enthousiaste.
     
    Laurette jeta un
coup d'oeil à l'extérieur par la fenêtre de la cuisine. Une petite neige folle
tombait depuis le milieu de la matinée et le ciel était uniformément gris,
l'obligeant à garder le plafonnier de la cuisine allumé.
     
    — Vous savez ce
que ça veut dire le mercredi des Cendres? demanda-t-elle en s'assoyant.
     
    Aucun de ses
trois enfants ne répondit.
     
    — Ça veut dire
que le carême commence aujourd'hui, précisa-t-elle. Vous devez tous prendre au
moins une résolution que vous allez tenir jusqu'à Pâques.
     
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    — Moi, j'ai déjà
promis que j'irais à la messe tous les matins durant le carême, s'empressa de
dire Carole en s'emparant d'une tranche de pain pour la