A l'écoute du temps
ses lèvres la
cigarette qu'elle s'apprêtait à fumer.
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— Pour moi, tu
vas trouver ça ben trop dur, lui fit remarquer Gérard, narquois.
— Tu sauras,
Gérard Morin, que j'ai en masse de volonté et qu'une promesse, je suis capable
de la tenir.
— On verra ben,
conclut son mari, sceptique. S'il reste de l'eau chaude après avoir fait ton
café, je vais m'en servir pour me raser.
Dès que l'eau fut
chaude, Gérard disparut dans les toilettes et Laurette demeura seule dans la
cuisine, ne sachant pas trop quoi faire de ses dix doigts. Habituellement,
c'était le temps de la journée où elle sirotait son café en fumant une ou deux
cigarettes. Elle profitait alors au maximum du calme de la maison. Elle se secoua.
Elle se mit à dresser le couvert du déjeuner et à préparer le repas du midi de
Gérard et des deux aînés. À six heures, elle avait fini. Gérard, déjà habillé,
fumait sa première cigarette avant de s'attabler pour déjeuner.
— Bâtard, Gérard,
fais pas exprès de me fumer au nez! explosa-t-elle.
— Aie! Tu penses
tout de même pas que je vais aller fumer dehors parce que t'as promis de pas
fumer du carême, protesta son mari. Si t'es pas capable de la tenir, cette
résolution-là, prends-en une autre.
Il s'éloigna tout
de même de la table pour savourer sa première cigarette avant de venir
s'attabler en face de sa femme. Après le départ du père de famille pour aller
travailler, Jean-Louis et Denise se levèrent. A leur entrée dans la cuisine,
leur mère se contenta de leur dire:
— Votre lunch est
sur le comptoir. Quand les autres se lèveront, demandez-leur de pas faire trop
de bruit. J'ai mal dormi parce que votre père a pas arrêté de tousser de la
nuit. Je vais essayer de dormir un peu.
Sur ces mots,
elle se dirigea vers sa chambre dont elle ferma la porte derrière elle. Elle ne
s'endormait pas. Elle 464 DES SACRIFICES était fébrile et nerveuse. Elle était
déjà manifestement en manque de nicotine, même si sa dernière cigarette datait
de moins de douze heures. Elle s'étendit sur son lit, en proie à des idées
noires et finit par sombrer dans le sommeil.
Lorsqu'elle
s'éveilla, la maison était plongée dans un calme inhabituel. Il était près de
neuf heures et les plus jeunes étaient partis pour l'école.
Même si le manque
de tabac l'énervait, la mère de famille se mit à ranger sa maison. Elle repassa
ensuite des vêtements jusqu'à l'heure du dîner. A leur retour à la maison, les
enfants durent sentir leur mère à bout de nerfs parce qu'ils furent singulièrement
sages durant le repas, ce midi-là.
— Je pense qu'on
est mieux de pas trop traîner dans la maison, chuchota Richard à son frère
pendant que sa mère était aux toilettes. Je le savais qu'elle serait comme ça
en arrêtant de fumer. Elle était pareille il y a deux ans.
— Je pense que
t'as raison, reconnut Gilles en s'emparant de son manteau.
Les deux frères
s'habillèrent rapidement et souhaitèrent un bon après-midi à leur mère,
toujours dans les toilettes.
Les adolescents
filèrent sans demander leur reste. Carole s'empressa de les imiter après avoir
aidé à laver la vaisselle.
Une fois les
enfants partis, Laurette alla passer le début de l'après-midi avec Emma Gravel.
Elle revint chez elle peu avant le retour des écoliers pour préparer ce qu'elle
appelait son pâté au saumon, un plat qu'elle servait traditionnellement les
jours maigres, soit le vendredi. En fait, il s'agissait d'une appellation
plutôt prétentieuse pour un plein chaudron de pommes de terre en purée
auxquelles elle mêlait quelques grammes de saumon en boîte.
— Simonac!
s'exclama Gérard en apercevant l'assiette que sa femme venait de déposer devant
lui. On est rendus 465 qu'on mange du pâté au saumon, même le jeudi, à cette
heure? Sa femme demeura interloquée pendant un bref instant.
— Ben, c'est
pourtant vrai! reconnut-elle. Je sais pas pourquoi, mais toute la sainte
journée, j'ai pensé qu'on était vendredi.
— Il est bon
pareil, la rassura Gilles qui venait de goûter au contenu de son assiette.
— C'est vrai,
renchérit Richard, mais je trouve ça ben de valeur pour le pauvre poisson.
— Pourquoi tu dis
ça, toi? l'apostropha son père.
— Ben, p'pa, il
doit se trouver pas mal perdu dans tout ce tas-là de patates.
L'adolescent ne
fut pas assez rapide pour esquiver la
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