A l'ombre de ma vie
« Zodiacos », qui
serait le nom de cette bande, et le mien aussi, celui de « la
Française », qu’il réussit à placer. La journaliste dit que, justement,
elle m’a parlé au téléphone. Elle leur donne ma version des faits : les
choses ne se sont pas du tout passées de cette manière, et surtout nous avions
été arrêtés la veille. Elle répète mot pour mot tout le contenu de notre
conversation trois jours plus tôt, je n’en reviens pas ! D’abord, le policier
ne se démonte pas. C’est un homme solide, il a l’air terriblement sûr de lui et
encore très content de l’effet du film que l’on vient de voir. Je comprends
qu’il s’agit en fait du chef de l’Agence fédérale d’investigation. Il est venu
là pour présenter un joli coup de filet : voilà pourquoi il a ce petit
rictus au coin des lèvres. Son visage rond respire la satisfaction, ses yeux
noirs lancent des éclairs, et on a l’impression que les questions de Denise
Maerker lui glissent dessus :
Cette jeune femme ne doit pas être très bien dans sa
tête !
Il est toujours plus satisfait de lui, presque souriant,
alors mon sang ne fait qu’un tour. À la porte de ma cellule, j’appelle le garde
dans le couloir et je vois le téléphone libre : coup de chance. Je lui dis
que j’ai besoin d’appeler mes parents, que je sais bien qu’il est tard mais que
c’est vraiment nécessaire. Je n’ai pas besoin de jouer l’affolement : ce
que je viens de voir et d’entendre m’a mise hors de moi. En fait, je ne me
contrôle plus. Un des moments les plus importants de ma vie est en train de se
jouer, mais j’avance sans réellement penser à ce que je fais. Et certainement
pas aux conséquences !
Devant le téléphone, je sors le papier avec le numéro que
j’ai composé trois jours plus tôt. C’est sûrement l’assistante de Denise
Maerker parce qu’on décroche au bout d’une ou deux sonneries, comme si on
m’attendait. J’ai à peine le temps de me présenter que la voix me dit :
— Ne quittez pas.
— Allô, Florence ?
C’est Denise Maerker ! On vient de la prévenir que je
suis au téléphone, alors elle a interrompu Garcia Luna et me prend en
direct ! Je ne le vois pas, à ce moment-là, mais le chef de l’AFI perd un
peu contenance. Il saisit un verre devant lui et fait mine de boire, il baisse
la tête et regarde ailleurs. C’est ma voix qu’on entend. De nouveau, je raconte
mon histoire. Je dis bien clairement que c’est au matin du 8 décembre que nous
avons été arrêtés, et je parle de la camionnette toute la nuit, du retour au
ranch ; encore une fois, je vais vite, j’essaie de ne rien oublier mais je
sais que je n’ai pas trop de temps parce que tout s’agite autour de moi. Dans
les cellules, ceux qui regardent l’émission commencent à crier, à applaudir,
j’entends des bruits de bottes qui courent dans les couloirs, alors je jure que
ce que je raconte est vrai, je leur demande même de me soumettre au détecteur
de mensonges, et encore une fois je dis que je suis innocente, que je n’ai
enlevé personne et que je n’étais au courant de rien. Dans la prison, c’est le
branle-bas de combat. À quelques mètres de moi, de l’autre côté d’une grille,
je vois une vingtaine de gardes se battre avec la serrure de la grille :
ils me hurlent d’arrêter ça, de raccrocher et cela me fait paniquer. Je vais
jusqu’au bout, mais la grille s’ouvre : je n’ai pas le temps de
raccrocher, ils sont là, ils sautent sur moi et s’emparent du téléphone pendant
que les autres détenus, dans les cellules, se sont passé le mot. Tout le monde
a mis la télé, ils m’ont tous entendue, et maintenant ils hurlent et battent
des mains, c’est la folie autour de moi, et la seule chose qui me vient à
l’esprit, dans ce tumulte incroyable, au moment où je me sens soulagée de
quelque chose, sereine et heureuse de ce que je viens de faire, malgré tout,
c’est cette idée nouvelle : « Florence, tu vas t’en
sortir ! ».
Je n’ai pas pensé une seule seconde aux conséquences de mes
actes. Je ne les connais pas encore d’ailleurs, et j’ai de nouveau vaguement
peur de la brutalité avec laquelle on m’emmène, de la férocité des cris. Un
moment, je pense même qu’ils vont peut-être me tuer. Et en même temps, c’est
incroyable, une partie de moi se sent vraiment bien ! Au fond, je crois
que je suis fière. Je me rends compte qu’il était vital pour moi de
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