A l'ombre de ma vie
sais rien. Je continue de vivre ici dans mon tee-shirt rouge, en pensant à
cette femme qui s’intéresse à moi. C’est à mon histoire d’arrestation
médiatique qu’elle s’intéresse, en fait. Qu’importe. Pour moi, l’essentiel est
que quelqu’un – une grande journaliste ! – mette son nez dans ce montage
grotesque. Que je ne sois plus seule à crier dans le vide.
J’y pense sans arrêt. Je suis impatiente d’être à dimanche
soir, tellement impatiente que je vais peut-être commettre une imprudence.
C’est la faute d’Armas, le directeur de la prison. Je ne connais pas son
prénom, je sais juste qu’il s’appelle Armas, cet homme impressionnant au regard
noir qui m’avait pointé un pistolet sur la tempe à mon arrivée ici. Comme j’ai
pu en avoir peur, de ce type ! À trembler devant lui. Mais j’essayais
toujours de ne pas le montrer, de donner le change. Et voilà qu’un soir il fait
ouvrir la porte de ma cellule pour entrer, me demande si je vais bien et
comment je tiens le coup. J’avais bien eu l’impression qu’il avait un peu
changé de comportement vis-à-vis de moi, depuis quelque temps, mais je n’y
croyais pas vraiment. Peut-être que je prenais mes désirs pour des réalités.
En tout cas, il est bel et bien là, dans ma cellule ;
il s’est même assis sur le bord de mon lit, je n’en reviens pas. J’ai tellement
besoin que quelqu’un m’écoute, me croie. Tellement envie que cette peur qui ne
me quitte pas s’atténue un peu. Et qui mieux que lui peut m’aider à cela ?
Il me parle doucement et je me sens en confiance pour la première fois depuis
longtemps. J’ai envie de croire qu’il est sincère. Je ne me pose même pas la
question, en fait. Je prends la précaution de ne pas lui parler du coup de fil
à Denise Maerker, mais je lui dis que je vais passer à la télévision. C’est
plus fort que moi, parce que c’est justement ce soir-là, quelques minutes plus
tard, et que je ne tiens plus. Je n’aurais peut-être pas dû, mais ça m’a fait
tant de bien de parler de cela avec quelqu’un ! Il m’écoute, j’ai même
l’impression qu’il approuve, qu’il dit que c’est une bonne chose, juste d’un
mouvement de la tête. Mais son téléphone sonne et il s’en va. Sans rien ajouter,
sans s’étonner que je sache cela, sans se mettre en colère.
En tout cas, il m’a entendue parce que le soir il est devant
sa télévision. Moi aussi, bien sûr, comme beaucoup d’autres dans la prison.
Denise Maerker traite souvent des problèmes de sécurité, des crimes, des
trafics de drogue et d’armes, des questions de justice : alors dans cette
prison et dans toutes les autres, on la connaît ! Pour ma part, c’est la
première fois que je la vois. C’est une dame un peu plus âgée que moi, les cheveux
courts et le regard clair, plutôt jolie. Le ton de sa voix, son port de tête et
d’autres choses imperceptibles lui donnent une autorité naturelle, un air de
franchise décidée qui en impose. Ce soir, elle a deux invités à sa droite, deux
hommes d’âge mûr, un magistrat et un policier de haut rang, Garcia Luna, mais
elle n’est pas impressionnée. On jurerait même que ce sont les deux types qui
sont le moins à l’aise. Des images de l’arrestation défilent. Je revois le
ranch, je me découvre pour la première fois sur ces images qui ont fait le tour
du monde et je m’entends crier devant les caméras que je suis innocente, que je
ne comprends rien à tout cela, j’ai l’air complètement paniquée. J’ai une tête
de revenante là-dessus, mais ce n’est pas étonnant : je viens de passer
une nuit dans une camionnette. Il y a aussi les images d’Israël, celles où on
me pose à côté de lui, contre la voiture siglée AFI, et puis les mots
d’Ezequiel. Je ne les avais pas encore entendus non plus. Je les avais juste
lus dans un procès-verbal. Je ne comprends pas pourquoi il dit tout cela, mais
je ne conçois pas non plus qu’on puisse lui accorder du crédit. Il dit
n’importe quoi à mon sujet ; il se trompe sur la couleur de mes cheveux,
sur la description de mes mains…
Le sujet fait son effet. Quand on revient sur le plateau, on
a encore les images en tête, des cris, des pleurs, et mon visage et celui
d’Israël. Mais Denise Maerker enchaîne. Elle laisse à peine le temps au chef
des flics de montrer sa satisfaction. Il peut à peine dire qu’il s’agit d’une
dangereuse bande, on entend tout juste le mot
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