A l'ombre de ma vie
s’agace à
ce moment-là.
Alors, on donne la parole à M e Jorge Ochoa. Il
veut clarifier tout cela, dit-il, et poser des questions simples et précises.
Ezequiel a les mâchoires serrées.
— Le témoin peut-il nous dire à quel moment il a
entendu la voix de ma cliente pour la première fois ?
— C’était dans la voiture, quand ils venaient de
m’enlever. Elle m’a pris mon téléphone mobile.
C’est inouï : c’est la première fois qu’il évoque cette
voiture. Pour lui, c’était toujours dans une maison, celle de Lupita ou le
ranch, et M e Ochoa le lui fait remarquer puis lui repose la même
question.
— Où était-ce ? Le témoin peut-il décrire l’ambiance
qu’il y avait autour de lui ?
— Je me suis trompé, c’était dans la deuxième maison.
Dans une pièce éclairée, toute illuminée. Oui, elle était complètement blanche.
J’ai clairement entendu cette voix de femme qui roule les « r ».
En deux minutes, il vient de donner trois versions
différentes et personne ne bronche. Je me dis que c’est bon signe, d’autant que
je vois mon avocat s’acharner.
— Le témoin peut-il nous dire dans quelle maison, dans
quelle ambiance ma cliente lui a donné un sandwich ?
— C’était dans la première maison.
Il explique que, dans cette maison, il a démonté une
fenêtre, une sorte de bricolage à la MacGyver dont il n’avait jamais parlé et
auquel on ne comprend rien : il aurait enlevé les vis, et réussi à voir
l’extérieur.
— Le témoin peut-il nous dire comment il a enlevé les
vis, et ce qu’il a vu à l’extérieur ?
Alors Ezequiel parle des couteaux qu’on lui donnait pour
manger, toujours les mêmes avec des manches verts. Il décrit le cabinet de
toilette dans lequel il se trouvait, et raconte que, par la fenêtre, il a vu
une rue éclairée. C’est tout à fait la description qu’il a déjà faite de la
maison de Lupita – le cabinet de toilette et même les couverts à manches verts
que les autres otages ont décrits aussi. Et surtout, il n’y a pas de rue autour
du ranch. Alors M e Ochoa le lui fait remarquer et Ezequiel se tend.
— Je ne sais plus. Je ne sais plus…
De plus en plus souvent, il invoque des trous de
mémoire ; il devient cynique et s’énerve parce que M e Ochoa lui
repose encore les mêmes questions.
— Le témoin peut-il dire combien de fois il a entendu
la voix de ma cliente ?
— Deux fois, je l’ai déjà dit !
Non, deux minutes plus tôt, il a dit que c’était plusieurs
fois, même de nombreuses fois. Il se contredit sans arrêt. Tout cela est bon
pour moi. Il n’avait déjà pas beaucoup d’assurance en arrivant, mais cette fois
les questions l’ont complètement déstabilisé. Quand M e Ochoa en
vient aux mèches de cheveux qu’il aurait vu dépasser d’un bonnet, et lui
demande de combien ils dépassaient, Ezequiel se montre cassant :
— J’ai vu des cheveux blonds, mais je n’avais pas un
mètre pour les mesurer !
Ensuite, il reste silencieux quand l’avocat lui demande s’il
peut situer où et quand il aurait vu cela. Il s’agace :
— Je ne sais plus…
Le plus fort, à la fin de la journée, c’est qu’il montre son
doigt.
— Depuis ma libération, ma main reste anesthésiée parce
qu’elle m’a fait une piqûre. Elle voulait me couper un doigt pour l’envoyer à
ma famille.
Je m’y attendais car il l’avait déjà racontée, à la police,
celle-là. Il remet ça ici, avec beaucoup de conviction, et brandit son
doigt :
— Regardez, j’ai encore la trace !
À ce moment précis, toute ma confiance en M e Jorge Ochoa est revenue. C’est comme s’il n’attendait que cela pour bondir.
— Je demande que le tribunal fasse venir un médecin. Il
faut absolument examiner cette trace !
Personne ne s’attendait à ça. Certainement pas Ezequiel, en
tout cas. Le tribunal ne fait pas de difficulté. On annonce qu’on va chercher
un médecin légiste et qu’il faut l’attendre. Et ça dure. Deux heures, trois
heures, je me sens bouillir intérieurement, mais je ne le montre pas, au
contraire d’Israël, devenu franchement agressif. Il ne supporte plus ce menteur
et ne tient plus en place. Quand le médecin arrive, tout le monde se serre
autour d’Ezequiel.
C’est long, on ne comprend pas ce qui se dit, on n’entend
pas les conclusions de l’expert, et personne ne vient nous en rendre compte. Ce
n’est pas prévu dans la procédure, on nous traite
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