A l'ombre de ma vie
ma
situation, je les ai harcelés par téléphone, et au bout de plusieurs semaines
on m’a accordé royalement une heure de promenade dehors !
Ce fut d’abord la nuit, de minuit à une heure. Et plus tard,
enfin, de trois à quatre, les après-midi où je n’ai pas d’audience. Mais la
saison des pluies arrive. Il tombe des trombes d’eau et les gardiennes se font
un malin plaisir de me faire payer mes plaintes :
— C’est toi qui l’as voulu, alors tu y vas ! Tu as
demandé à marcher, alors tu marches !
On me traite vraiment comme une moins que rien.
Le moindre petit changement devient agréable. L’autre jour,
par exemple, j’ai eu le droit de descendre la poubelle, c’était la première
fois. Le conteneur se trouve juste au bord de la cour, et comme il n’y avait
personne je me suis accordé un moment de tranquillité. Alors je me suis assise.
J’étais comme scotchée au soleil, c’était un tel bonheur, j’étais bloquée là et
je n’ai pas vu le temps passer, j’y suis restée presque une heure. Quand je
suis remontée, je suis tombée sur une des pires gardiennes. Une femme au
physique d’homme dont on m’a dit à plusieurs reprises de me méfier. Avec ses
cheveux courts, ses traits durs et ses manières masculines, elle me fichait une
telle trouille ! Surtout ce jour-là. Pour me punir de mon errance, elle
m’a hurlé dessus :
— Regarde bien ce couloir, tout ce couloir qui passe
devant les cellules : tu vas me le nettoyer entièrement avec ta
langue !
J’ai regardé le couloir et j’ai cru tomber dans les pommes.
J’ai vraiment cru que j’allais le faire ! J’en ai pleuré pendant le reste
de la journée. J’ai passé les heures suivantes roulée en boule sur ma paillasse
de fer à trembler à l’idée qu’elle viendrait me chercher. J’ai attendu la
relève des gardiens, pour qu’elle s’en aille, avec en tête cette idée qu’elle
allait m’obliger à lécher ce couloir sale et interminable. Que suis-je
devenue ? Je n’ai plus de caractère, je suis anéantie, réduite à l’état
d’esclave, incapable de m’opposer à tout ce qui m’arrive. Je me sens si fragile
et brisée.
Heureusement, il y a enfin une lueur : les autorités
pénitentiaires autorisent mes parents à me rendre visite ! C’est un grand
bonheur. Le jour de leur venue, j’essaie de donner le change, pour que le choc
ne soit pas trop rude, mais ils me connaissent par cœur et l’endroit est
suffisamment sinistre pour qu’ils comprennent mon enfer. Le pénitencier de
Santa Martha parle de lui-même, il suffit de s’en approcher et, pire, d’y
entrer. La joie de nous voir, de pouvoir nous serrer les uns contre les autres
se mêle à la peur et à l’angoisse, aussi bien la mienne que celle de mes
parents, qui ne savent pas plus que moi pourquoi je suis là ni ce que je vais
devenir. Je sais juste qu’à aucun moment ils ne me poseront de questions sur ce
que j’ai fait ou pas. À aucun moment ils ne douteront de mon innocence. Leur
amour est inconditionnel. Avec eux, pendant quelques instants, c’est comme un
retour à la vie…
Le soleil accompagne nos retrouvailles et nous avons le
droit de nous installer dans la cour. Devant moi, il y a ce cahier, qu’une
détenue m’a offert en arrivant et que, depuis, je traîne partout. Je prends des
notes, un peu n’importe quoi des fois, mais ce sont des choses qui comptent,
auxquelles je me raccroche. Mon père le prend et se met à dessiner ce qu’il
voit, la cour et les murs, tout ce paysage sinistre qu’il restitue à coups de
crayon sans y penser, simplement pour tromper son angoisse, peut-être. Je garde
le croquis, c’est celui de mon père. On s’attache à tout, dans ma situation.
Mais manque de chance, le lendemain matin, à cinq heures, lorsqu’on vient me
réveiller pour partir au tribunal, c’est un jour de fouilles. Cela arrive
parfois. Un peu n’importe quand, au hasard. Les gardiens retournent ma cellule,
m’inspectent sous toutes les coutures et je dois serrer les dents pendant qu’on
cherche sur moi, jusque dans mon soutien-gorge. Ils fouillent mon sac aussi et
ouvrent mon cahier. Le dessin ! Un dessin de la prison, c’est forcément
que j’envisage une tentative d’évasion, selon eux. Je suis convoquée dans le
bureau de la directrice. Je me suis aperçue que je m’y rends souvent pour des
motifs que je ne comprends pas toujours. Elle me touche toujours les épaules,
les bras. C’est une
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