A l'ombre de ma vie
vraiment comme des
délinquants présumés coupables, c’est la règle ici. C’est M e Ochoa
qui viendra me dire, à la fin de l’audience, que le médecin est formel :
cette marque que brandit Ezequiel, c’est une tache de naissance et rien
d’autre. Cela n’a rien à voir avec une piqûre et le tribunal l’a bien noté.
C’est idiot à dire, mais il faut que j’attende l’avis de mon avocat pour m’en
réjouir. Après cette journée folle, je ne sais plus que penser. Et puis, je ne
suis plus en état, non plus. Je suis incapable de raisonner correctement et de
me faire ma propre opinion. J’ai besoin qu’il me dise si c’est bon ou pas pour
moi.
C’est pourtant évident. Ezequiel se contredit sans cesse, et
la seule preuve matérielle qu’il voulait donner vient de voler en éclats grâce
à l’intervention d’un médecin expert. Le tribunal ne peut tout de même pas
considérer que ce type, qui ment ouvertement, est un témoin crédible.
Je me repasse le film de cette folle journée en rentrant à
Santa Martha. Je pense à Lupita que j’ai rencontrée plusieurs fois, pendant mes
quelques mois avec Israël, ainsi qu’à Alejandro ; d’ailleurs, je suis même
allée chez eux, à Xochimilco. C’est une maison derrière un haut mur, donnant
sur une rue de quartier populaire, avec une grande porte qui ouvre sur la cour.
C’est là qu’on garait les voitures et les voisins faisaient de même, c’est tout
ce dont je me souviens. Mais c’est tout de même bizarre, parce que la dame qui
me questionnait, le tout premier jour de mon arrestation, dans la camionnette
noire, me parlait bien d’une maison à Xochimilco.
Je m’en souviens : à cette époque, elle disait encore
qu’ils n’avaient rien contre moi, que je n’étais qu’un simple témoin, que
j’allais bientôt partir pour aller travailler.
Finalement, je suis empêtrée dans un procès auquel je ne
comprends pas tout, avec des audiences complètes où je ne dis pas un mot, où
tout ce qui est évoqué ne me concerne même pas. Des tas de gens se succèdent
dans cette pièce, mais je n’ai pas encore vu la juge une seule fois : des
secrétaires mènent l’audience ; les avocats, qui se tiennent là, tout près
de la grille derrière laquelle nous sommes retenus. Il y a un peu de public,
parfois, souvent la famille d’Israël, et surtout Lupita, dont je commence à me
méfier. Je ne sais plus que penser d’Israël, non plus. Je me revois encore à ses
côtés, au matin de notre arrestation bidon. Les policiers de l’AFI nous avaient
ordonné de garder la tête baissée, mais cela avait été plus fort que moi :
à cet instant, je l’avais regardé, interloquée, stupéfaite, et je sais que ce
regard noir, une couverture bleue serrée contre moi, appuyée à la camionnette
de la police, a été immortalisé par la fameuse photo qui a fait le tour de tous
les magazines. Je me souviens également d’une fois où M e Ochoa
m’avait parlé de lui, à l ’arraigo. Il m’avait dit : « Il est
aussi innocent que vous. » Et lui-même qui m’a juré son innocence, la
première fois au tribunal. En pleurant, alors que je ne l’avais jamais vu
pleurer ! Je vois tous ces témoins qui mentent et je ne sais plus que
penser. S’ils mentent pour moi, ils peuvent parfaitement mentir pour lui, c’est
évident.
Parfois, pendant les temps morts de l’audience, Israël me
demande comment je vais, quelles sont mes conditions de détention. Je retrouve
par instants le gars gentil que j’ai connu quelques mois plus tôt. Alors, je
lui raconte la violence, les menaces, le comportement agressif des filles. Lui
me répond qu’il comprend, qu’il est innocent comme moi et que nous allons nous
en sortir. Oui, mais je sais aussi qu’une autre jeune femme, qu’il est accusé
d’avoir kidnappée à une époque où j’étais en France, l’a reconnu formellement.
C’est même pour cela que M e Ochoa, capable de dire n’importe quoi et
son contraire, m’a dit une autre fois : « Il y est jusqu’au
cou ! ». Je n’en peux plus de ces contradictions. Tout le monde,
jusqu’à mon avocat, censé être la personne en qui je dois avoir confiance, me
paraît suspect. Je suis complètement perdue depuis le début de cette histoire
et les derniers événements ne m’aident pas à y voir plus clair. Bien au
contraire.
C’est pour cela qu’un jour je décide de ne plus parler à
Israël. De prendre du recul et de le regarder
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