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A l'ombre de ma vie

A l'ombre de ma vie

Titel: A l'ombre de ma vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Florence Cassez
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autrement. Et petit à petit, je
découvre des choses qui étaient sous mon nez et que je ne voyais pas. Peut-être
que cette attitude lui vient progressivement, aussi. En tout cas, un autre
Israël se dessine peu à peu, une personne qui n’est plus celle avec laquelle
j’ai vécu, avec qui j’ai fait tant de balades dans la campagne de Mexico. Ici,
dans l’enfer de cette prison, il est de plus en plus à l’aise, entouré de gars
qui sont devenus ses potes. Il faut voir comme il les salue, et des poignées de
main qui n’en finissent plus, et je te tape le poing, et je te claque le dos de
la main ; je ne l’avais jamais vu se comporter comme cela, avant. Il fait
désormais partie d’une bande. Alors, pourquoi pas avant ? Je crois qu’à ce
moment-là je me suis mise à le détester, à le haïr tellement je le voyais
serein dans cet endroit qui m’effrayait tant, avec ces types qui me menaçaient,
dont la simple présence m’emplissait de panique. Il a pris ses marques, ici. Il
n’a que quelques escaliers à descendre, quand j’ai tout ce parcours à
affronter, dans le fourgon cellulaire où les filles se battent comme des
chiennes, et à la fin des audiences je vois ses frères, ses sœurs ou ses parents
venir le retrouver et lui donner rendez-vous quelques minutes plus tard :
« On te retrouve en salle des visites. » Tandis que moi, je n’ai
quasiment jamais de visites et les gens que j’ai rencontrés plusieurs fois
m’accordent à peine un regard, parfois un sourire triste.
    Israël ne semble pas s’apercevoir de ma colère. Il continue
de venir vers moi, parfois il me propose des paquets de cigarettes et je
m’entends lui répondre d’aller se faire foutre. Tant pis, il revient la fois
d’après, il me parle encore et je tourne la tête, dans cette petite cellule où
on doit cohabiter. Chaque fois que je le vois, je m’interroge sur sa véritable
personnalité. Il a changé de style vestimentaire et adopte désormais le jargon
de tous ces voyous. Qui est-il vraiment ? L’ai-je un jour véritablement
connu ? Je culpabilise d’avoir été naïve, d’avoir eu cette liaison que me
reproche mon avocat, et qu’on me reprochera encore et encore. Comment aurais-je
pu savoir ? Je suis plus bête qu’une autre ?
    Toutes les nuits je retourne ces questions dans ma tête. Je
n’ai pas trente-six manières de m’en sortir par rapport à lui. S’il m’a
vraiment caché des activités aussi terribles que ces enlèvements, s’il avait
vraiment une double vie, avec des complices, des rançons, je n’ai rien vu, rien
suspecté. Je me dis que ce n’est pas pire que toutes ces femmes trompées qui
n’en savent jamais rien, ou que ces histoires terribles d’inceste dans des
familles qui ne l’apprennent parfois que dix ou vingt ans plus tard. N’est-ce
pas aussi grave, ça ? Dois-je vraiment traîner ma croix de gourde
inégalable ? Je vis avec tout ça au creux de mon ventre et je ne cesse de
pleurer du matin au soir.
    Au pénitencier, une fille que je ne connais pas semble
s’intéresser à moi. Je ne sais pas pour quelle raison d’ailleurs, mais elle me
donne quelques coups de main. Un peu de linge de toilette, quelques
sous-vêtements neufs, parfois ; il semble qu’elle peut se procurer à peu
près ce qu’elle veut, comme c’était le cas à l ’arraigo pour ceux qui
avaient de l’argent. Les caïds, en somme. C’est pourtant le dernier endroit où
on s’attend à être aidé, ici. Tout est sale, sombre, menaçant, je dois me
méfier de tout le monde, de toute cette violence et des règles que les gardiens
appliquent sournoisement. Depuis que j’ai été transférée, je n’ai pas encore vu
le ciel. Cela n’a l’air de rien mais ça me rend dingue. Pas une seule minute à
l’extérieur, c’est une torture ! J’en deviens hystérique. Il n’y a pas de
fenêtres à ma cellule et celles des couloirs sont trop hautes pour moi. Le
fourgon vient nous chercher dans un hangar, et c’est pareil à la prison pour
hommes : on nous « décharge » dans une sorte de garage qui donne
sur tous ces couloirs infâmes. Rien de pur, pas d’air, pas de soleil. Jamais.
Parfois, je colle un œil à des petits trous dans le béton des murs pour
apercevoir la couleur du soleil. De désespoir, j’ai fini par appeler le
secrétariat des droits humains à Mexico. C’est une détenue qui me l’a
conseillé : elle l’avait déjà fait. J’ai tout fait pour leur expliquer

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