À l'ombre des conspirateurs
Aufidius Crispus préparait un grand banquet pour tous ses amis qui habitaient sur la côte.
Bien évidemment invité, Rufus s’était refusé à l’emmener avec lui, en précisant qu’une amie l’accompagnerait. Æmilia Fausta en fut fort marrie. Je me pris à espérer que les filles que connaissait Faustus n’étaient pas respectables. Dans ce cas, on risquait de bien s’amuser.
À tort ou à raison, je fondais de grands espoirs sur la fête de Crispus. Æmilia Fausta était bien décidée à s’y présenter, invitée ou non, et tout aussi déterminée à emporter sa cithare. Pour l’aider à franchir l’obstacle des portiers, la noble dame avait décidé de m’emmener avec elle.
48
Ce soir, j’allais enfin rencontrer Aufidius Crispus. Dans la luxueuse villa d’Oplontis qu’il occupait, le vin coulait à flots, et les superbes danseuses d’après dîner se tortillaient pratiquement nues. Selon la rumeur locale, cette résidence avait appartenu à Poppée Sabine, la deuxième femme de Néron. Cette référence impériale, bien que fort ténue, témoignait de l’ambition de notre hôte.
Cette « Villa Poppée » constituait le principal monument d’Oplontis. Les occupants de tels lieux parvenaient peut-être à oublier les grossières huttes de pêcheurs qui s’élevaient aux limites de leur propriété, en s’imaginant qu’eux seuls représentaient Oplontis. Les gens qui vivent dans une telle opulence trouvent souvent plus commode d’ignorer la pauvreté.
Lors de ma première visite, la célèbre bâtisse était fermée. Arria Silvia avait bien essayé d’y jeter un coup d’œil, mais elle s’était fait refouler par un garde. Quand Poppée avait épousé Néron, cette villa avait intégré les biens impériaux, mais elle resta inoccupée après sa mort. Comme si la mort de cette si belle femme, suite aux coups de pied de Néron, emplissait encore les responsables du palais d’un sentiment de honte.
C’était une immense construction à un étage, entièrement entourée d’une colonnade et de magnifiques jardins. Une vaste terrasse donnait sur la mer et permettait d’accéder à de superbes salles de réception. De chaque côté, les ailes devaient abriter une bonne centaine de pièces, chacune décorée de façon exquise.
Il me serait impossible de vivre dans un lieu aussi gigantesque. Mais je l’avoue, il excitait l’imagination du poète à temps perdu qui sommeille en moi.
Le dîner devait commencer à la neuvième heure. À en juger par les embouteillages de chaises à porteurs sur la route d’Herculanum, il s’agirait de la plus importante fête à laquelle j’assisterais jamais. Le magistrat était discrètement parti en avance, afin de passer chercher sa dulcinée, et Æmilia Fausta n’avait pas hésité à commander une escorte en se prévalant des fonctions de son frère. Aux frais de l’État, elle nous ouvrit un chemin à travers la foule.
La plupart des autorités locales – plus quelques pauvres types pour faire bien dans le tableau – s’apprêtaient à dîner impérialement en profitant du grand cœur d’Aufidius Crispus. Les premières têtes connues que je repérai furent celles de Petronius Longus et d’Arria Silvia. Le grand homme ratissait large pour gagner les faveurs du peuple.
Tel que je connaissais Petronius, il profiterait du pain gratuit et prendrait la tangente. À ma connaissance, depuis qu’il avait été élu capitaine de la garde aventine, il n’avait jamais voté. Il revendiquait hautement qu’un homme recevant un salaire public se devait d’être impartial. Je n’étais pas d’accord avec lui, mais l’admirais de s’entêter dans ses excentricités. Aufidius Crispus eût été un politicien bien insolite, s’il avait laissé une telle moralité se développer chez les électeurs dont il courtisait les votes.
Déjà à l’intérieur, Petro et Silvia me regardaient progresser lentement, en arborant des sourires sarcastiques. Je me pavanais dans ma plus belle tunique moutarde, tandis que ma compagne discutait avec le chambellan qui gardait la porte.
La liste des invités à la main, l’homme n’était pas du genre à s’en laisser conter. L’organisation de la fête avait été prévue dans les moindres détails, et il n’était pas question d’entrer de force. Les membres d’une joyeuse équipe, munis de poignets de cuir, jouaient aux dés derrière les plantes en pot. À la moindre tentative, ils auraient tôt
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