À l'ombre des conspirateurs
ont été envoyés de Rome. (J’étais au courant. En faisant l’inventaire de la maison sur le Quirinal, j’avais signé moi-même le papier autorisant leur transfert.) Tu t’intéresses à quoi, exactement, Falco ?
Il restait amical, mais sa défiance grandissait.
— Tu connais Barnabas ?
— Je l’ai connu, répondit-il sans se compromettre.
— Je dois lui remettre une grosse somme d’argent. Il est venu ici, récemment ? (Bryon me regarda, puis haussa les épaules.) Si c’est le cas, continuai-je avec une note de menace dans la voix, tu n’auras pas manqué de t’en apercevoir. À cause des chevaux…
— Ah, oui !… à cause des chevaux ! acquiesça-t-il sans céder d’un pouce. Si je le vois, je lui dirai que tu es passé.
J’éloignai de moi la tête de Petit Chéri qui ne cessait de me pousser du bout de son museau, et changeai de sujet :
— Tout a l’air bien calme ici, pour une villa sur le mont Vésuve au cœur de l’été. Il n’y a pas d’invités ?
— Seulement la famille, m’informa Bryon en gardant un visage de pierre.
— Et la jeune dame ?
— Elle fait partie de la famille.
Cet entraîneur avait eu le temps de se faire sa petite idée à mon sujet : j’étais quelqu’un ne disposant d’aucune autorité. Il me conduisit fermement vers la sortie. En chemin, je ne manquai pas d’examiner chaque box. Au point de faire perdre patience à Bryon qui retrouva d’un coup son naturel.
— Si tu me disais ce que tu cherches, Falco, je pourrais peut-être t’aider.
Je souris sans me laisser démonter, en songeant aux deux chevaux qui m’avaient suivi de Rome à Crotone.
— Je vais te le dire, ce que je cherche : un grand rouan qui a l’air d’un cheval de course, accompagné d’un canasson pour porter les bagages.
— Ils sont pas ici, trancha Bryon.
Il avait raison, mais la brusquerie de sa réponse m’indiqua qu’il savait parfaitement de quels chevaux je voulais parler.
Il me raccompagna jusqu’à la colonnade, et parut à la fois soulagé et déçu que la jeune dame « qui faisait aussi partie de la famille » m’accueille d’un air un peu endormi, mais avec le sourire.
47
Sifflotant comme le joyeux professeur de cithare que j’étais, je m’approchai d’Helena Justina. Son beau-père venait de la rejoindre. Je présentai des excuses pour ma présence, expliquant que j’avais rencontré par hasard Helena Justina victime d’un léger malaise. Une insolation bénigne, sans doute…
L’arrivée de Marcellus mettait un terme à mes projets d’exploration. Il était incontournable. Je pris congé en inclinant dignement la tête devant la dame. La seule réponse possible à la question émanant de ses grands yeux marron débordant d’anxiété.
Marcellus dut trouver mon explication crédible, car Helena Justina était à bout de forces. Quelqu’un devait veiller sur elle. Le plus inquiétant, c’est qu’elle avait l’air de le penser aussi, et ce n’était pas son genre.
Parcourant le chemin en sens inverse, grimpé sur la mule de l’intendant, je me disais qu’elle n’avait pas prononcé un seul mot depuis le moment où je l’avais installée sous la colonnade. J’avais mauvaise conscience de l’abandonner. Quelque chose ne tournait pas rond. Un problème auquel je devais m’atteler à la première occasion.
Maudit soit l’intendant qui attendait sa mule à Herculanum ! Je m’accordai néanmoins le temps de m’arrêter dîner à Oplontis avec mes amis. Ils paraissaient bien plus détendus, maintenant que j’étais parti vivre ailleurs.
La prophétie d’Helena au sujet de la petite servante se révéla exacte. Sa maîtresse peu charitable expédia la stupide gamine au marché aux esclaves ! Le lendemain, je pris sur moi d’aborder le sujet avec Æmilia Fausta. Elle écouta mon point de vue, puis menaça de mettre un terme à mon engagement de professeur. Lorsque je lui conseillai de le faire, elle se désagrégea sous mes yeux. Je restai.
Mon dégoût ne tenait pas seulement aux charmes de la fille : un jour passé avec Helena m’avait suffi pour oublier son apparence. J’étais surtout persuadé qu’il existait de meilleures méthodes pour faire respecter la discipline.
Il était hors de question que cette friction avec Fausta remette en cause notre relation professionnelle. Elle se montrait plus anxieuse que jamais d’améliorer ses talents de musicienne, et m’en apprit la raison :
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