À l'ombre des conspirateurs
l’avalait d’un air désabusé. Pendant mon absence, il avait dégusté à Oplontis de nombreux crus locaux qui lui avaient formé le palais : toute une variété de blancs pétillants et de rouges robustes. Jaloux, j’attaquai les hors-d’œuvre. Petro m’avait vraiment manqué. Plus vite je me débarrasserais du travail à accomplir, plus tôt je pourrais m’échapper d’Herculanum pour revenir auprès de mes amis à Oplontis.
Les serveurs n’étaient pas près de rentrer chez eux de bonne heure. Les invités comptaient bien passer la plus grande partie de la nuit à s’amuser. Quelque peu intimidée, la plèbe savait faire preuve d’excellentes manières, mais les sénateurs, les patriciens et leurs épouses se précipitaient sur les viandes ; ils s’empiffraient sans aucune retenue, puisque c’était gratuit. La brise de Pompéi devait emporter à plusieurs lieues d’ici le tintamarre ambiant et l’odeur des sauces au vin. Les esclaves glissaient sur la semelle humide de leurs pieds nus, se précipitant çà et là pour remplir les coupes. Aufidius Crispus obtiendrait le résultat escompté : plus tard, les gens présents se souviendraient de cette réunion abominable comme d’un heureux événement.
Deux ou trois heures s’étaient écoulées quand les danseurs espagnols se présentèrent. Ceux d’entre nous installés à la table basse redoublèrent les vivats qu’ils avaient commencé à laisser fuser au moment de l’apparition du plat principal. Les serveurs faisaient de leur mieux pour conserver leur bonne humeur, mais ce n’était pas un mince travail que de donner la becquée à pareille foule – sans compter le nombre habituel d’enquiquineuses commandant des médaillons de veau sauce fenouil sans le fenouil !
Je me dis que les distractions avaient été programmées pour convenir aux invités du triclinium, qui avaient leur propre troupe de serveurs s’activant sous l’œil acéré d’un majordome chevronné. Cela me fut confirmé par les centaures ailés. Pendant que j’étais en train de les interroger, une malheureuse poire à la cannelle passa, abandonnée sur un immense plateau d’argent. On apportait déjà les rince-doigts. D’où j’étais, je pouvais entendre le claquement passionné des pieds, tandis qu’un de ces chanteurs sans voix exprimait sa mélancolie dans un style espagnol sauvage. À travers l’ouverture, je pus même apercevoir une fille au tempérament de feu, dont les longs cheveux noirs aux reflets bleutés lui tombaient jusqu’au bas des reins, ses vêtements soulignant suggestivement sa nudité. J’étais tellement captivé par ses virevoltes que j’en oubliai complètement Crispus. Des laquais me bousculaient, chargés de cornes d’abondance regorgeant de fruits frais – certains tellement exotiques que j’en ignorais le nom. Puis les portes me claquèrent de nouveau au nez.
Je me hâtai de regagner ma place. À voix basse, je décrivis la danseuse à Petro qui laissa échapper un sifflement d’envie. Il me confia à l’oreille que mon métier avait bien des avantages.
Silvia m’avait préparé une assiette : canard au gingembre, porc aux prunes, salade. Je repartis ensuite illico pour le triclinium. L’hôte et plusieurs de ses invités privilégiés s’étaient déjà dispersés dans la maison. Les deux femmes couvertes de bijoux étaient en train de parler de leurs enfants. Une nouvelle danseuse essayait d’hypnotiser l’un des jeunes hommes, en faisant bouger les muscles de son ventre.
Mon homme devait maintenant se mêler à ses invités, afin de retirer tout le bénéfice de son investissement. Il allait « montrer son bon côté », comme disait joliment Helena Justina, complimentant celle-ci sur sa robe, demandant à celui-là des précisions sur la carrière de son fils. Aufidius Crispus savait ce qu’il faisait. Je déambulai dans les salles de réception, demandant vainement à des serveurs dégoulinants de sueur de me le désigner. Un esclave chargé de vaporiser du parfum m’envoya dans un jardin intérieur où il ne se trouvait pas non plus.
Il y avait une seule personne dans ce jardin : une femme installée sur un siège de pierre, qui avait l’air d’attendre quelqu’un. Une femme jeune, vêtue d’une superbe robe, sans trop de bijoux, et dont les beaux cheveux sombres étaient retenus par une résille d’or…
Si elle avait accepté un rendez-vous galant, libre à elle ! J’attendis cependant
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