À l'ombre des conspirateurs
fait de nous refouler.
Æmilia Fausta n’avait guère d’imagination. Quand, par hasard, elle tenait une idée, elle refusait d’en démordre. J’étais sincèrement impressionné par sa façon d’ergoter. Pour la circonstance, elle s’était enveloppée de mousseline mauve, et ses deux petits seins ressemblaient à des champignons élégamment présentés dans la corbeille d’un jardinier. Un diadème crénelé couronnait ses cheveux pâles relevés. Du rouge, dont une partie naturelle, brûlait à ses joues. Sa détermination à rencontrer Crispus la rendait aussi onctueusement dangereuse qu’un requin en chasse. Le chambellan ne tarda pas à éprouver l’angoisse d’un marin venant de faire naufrage, qui aperçoit une nageoire impressionnante fendre l’eau dans sa direction.
— Peux-tu me dire quel est l’hôte qui établit une liste d’invités en s’incluant lui-même, ainsi que l’hôtesse ? persifla la petite Æmilia en se dressant sur ses hautes semelles. Lucius Aufidius Crispus s’attendait à ce que tu me reconnaisses, annonça la noble Fausta avec toute la morgue dont elle était capable. Je suis sa fiancée !
Seule ombre à la satisfaction que je retirais de cette petite scène : en l’occurrence, elle disait tout bonnement la vérité.
S’avouant vaincu, le pauvre homme nous conduisit à l’intérieur. Je saluai Petro de la main, acceptai une couronne des mains d’une très jolie fille, et suivis la sœur du magistrat en portant sa cithare. Un maître de cérémonie à l’esprit vif installa Fausta avec un bol d’amandes de Bithynie, et fila discrètement prévenir le maître de céans. Il réapparut très vite pour assurer Æmilia Fausta que sa place était réservée dans l’élégant triclinium où Crispus lui-même présiderait aux agapes, en compagnie d’invités triés sur le volet.
Cette célérité à rétablir une situation me fournissait un premier indice sur la dangereuse habileté dont Aufidius Crispus savait faire preuve.
49
Le maître de cérémonie se confondait en excuses à mon endroit.
— Ne t’en fais pas pour moi. Je ne suis que son professeur de cithare. Inutile de rafistoler ton plan de table.
L’heure était presque venue de passer à table. Je me faufilai à travers la foule pour sortir scruter la flottille d’embarcations fabuleuses, regroupée autour du spacieux quai de la villa. L ’Isis Africana était mouillé à l’écart de cette mêlée nautique, un peu plus au large. Aucune lumière à bord, comme si tout le monde avait débarqué.
Ce n’était pas le genre de fête où l’hôte se tenait à la porte pour serrer la main des arrivants. Je rentrai donc par la terrasse pour l’apercevoir. Je traversai d’abord l’atrium, décoré d’une immense fresque où dominait le rouge. Au milieu des piliers jaunes d’une colonnade en trompe l’œil, une fausse porte s’ouvrait sur des perspectives lointaines, ses immenses battants cloutés s’ornant de personnages allégoriques. La pièce suivante débouchait dans un paisible jardin intérieur déployant de véritables trésors horticoles. Au-delà, le somptueux grand salon, de style purement campanien, donnait sur les jardins principaux par de majestueux pilastres. Les couches destinées aux gens de qualité y avaient été disposées, et le parfum se dégageant de dizaines de guirlandes de fleurs allait se perdre dans la nuit parfumée. De petites salles contenaient des tables pour les classes inférieures. Jouant de nouveau des coudes, je trouvai par hasard les cuisines. J’en étais sûr : la salle à manger du maître de maison y était attenante.
Pour pénétrer dans le triclinium de la Villa Poppée, il fallait franchir une série de piliers gardés par des centaures ailés. De superbes fresques ornaient les murs de cette pièce relativement petite, conçue dans le style architectural éthéré de la demeure. Au fond, la représentation d’une coupe de figues retint mon attention. L’atmosphère était saturée d’huiles parfumées. Sous des dais de fins tissus brodés, trois lits à trois places figuraient les neuf places traditionnelles prévues pour les invités. Partout, des décorations florales et des plumes de paon. Je pris mentalement quelques notes, au cas où j’aurais l’occasion de donner un dîner chez moi…
J’étais arrivé trop tôt : la place d’honneur du lit central n’était pas occupée. Sur le lit de gauche, Æmilia Fausta n’occupait
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