À l'ombre des conspirateurs
Arria Silvia n’y trouva rien à redire. Nous nous assîmes sous un pin qui se détachait sur le ciel crépusculaire. Nous bûmes tous les trois, pas trop, et avec une espèce de lassitude, maintenant qu’Helena nous avait quittés.
Je revins à pied vers la villa, en me disant que l’amour mettait beaucoup trop à contribution les pieds et la bourse. C’est alors que je remarquai deux selles posées par terre sous un cyprès. Elles me conduisirent jusqu’à deux mules au poil raide, attachées à l’écart du chemin, deux sacs de grain fixés au museau. J’eus beau tendre l’oreille, je ne perçus aucun bruit particulier. Des amants quittant la côte pour chercher un endroit tranquille n’auraient pas osé pénétrer aussi profondément à l’intérieur d’une propriété privée. Après une caresse aux animaux, je repris ma route.
Quand j’arrivai pour la deuxième fois devant la villa, cela faisait environ une heure que j’avais ramené Helena.
N’importe quel meurtrier aurait eu le temps de s’approcher d’elle. Les servantes qui l’avaient accueillie étaient parties depuis longtemps. Je montai au premier étage, sûr que dans sa chambre, au moins, je trouverais des domestiques : une mesure de sécurité sur laquelle j’avais lourdement insisté. Devant eux, il me faudrait jouer la comédie…
Je poussai la lourde porte, me glissai dans l’entrée, et la refermai sans aucun bruit. Je réalisai combien c’était dangereux pour Helena, décidant de faire fixer sans tarder un verrou à cette porte. Comme la dernière fois, on apercevait de la lumière de l’autre côté du rideau.
Elle avait de la compagnie. J’aurais dû me retirer, mais j’éprouvais un désir incontrôlable de savoir qui se trouvait avec elle. Courant le risque d’être déçu, j’écartai sans façon le rideau.
Sa robe verte était pliée sur un coffre, ses sandales abandonnées sur une descente de lit. Helena avait enfilé un vêtement plus sombre et plus chaud, des manches en laine lui couvrant les bras jusqu’aux poignets. Ses cheveux étaient nattés sur une épaule. Elle paraissait grave, et extrêmement fatiguée. Elle avait regagné la maison si tard qu’on lui avait apporté son dîner sur un plateau. Lorsque j’entrai en trombe, ses yeux s’emplirent d’inquiétude. Il y avait un homme avec elle.
Vautré dans un fauteuil, une jambe par-dessus un accoudoir, il croquait nonchalamment des noix. Helena mordait dans une aile de poulet d’un air maussade.
— Salut ! aboyai-je. Tu dois être Barnabas. Je te dois un demi-million de sesterces.
Il releva la tête. Il s’agissait bien de l’homme qui m’avait attaqué dans l’entrepôt, et probablement de celui que j’avais aperçu importuner Petro et sa famille sur la route de Capoue. Je dévisageai attentivement cet homme à la cape verte que je poursuivais depuis si longtemps. Dans le Bruttium, la vieille mère de l’affranchi avait dit vrai : Barnabas était mort. Celui qui se trouvait devant moi, c’était l’ex-mari de Justina : Atius Pertinax.
À en croire la Gazette, lui aussi était mort.
61
Pour un homme assassiné trois mois auparavant, il m’avait l’air en excellente santé. D’ailleurs, si j’avais mon mot à dire en la matière, Atius Pertinax le serait bientôt, et je prendrais toutes les dispositions nécessaires pour que ce soit permanent.
Il portait une tunique très ordinaire, et s’était laissé pousser la barbe, mais cela ne m’avait pas empêché de le reconnaître. Il devait avoir 28 ou 29 ans. Des cheveux clairs, et une faible carrure. Il possédait des yeux pâles que j’avais oubliés, et une expression dédaigneuse restée gravée dans ma mémoire. Une mauvaise humeur permanente tendait les muscles autour de ses yeux et lui durcissait la mâchoire.
Je ne l’avais rencontré qu’une fois – sans compter le jour où je l’avais filé dans le quartier de Transtiberina. Impossible d’oublier ses gardes qui avaient essayé de me réduire en bouillie, tandis qu’il se contentait de m’insulter. Je revoyais encore bouger ses jambes blanchâtres sous la toge de sénateur, quand il avait quitté mon appartement. Il m’avait laissé étendu à côté d’un banc cassé, en train de cracher le sang.
Cet homme qu’Helena Justina autorisait à prendre ses aises dans sa chambre, c’était un traître et un voleur, une brute et un meurtrier. Il avait dû s’asseoir de cette façon bien des fois, dans la
Weitere Kostenlose Bücher