À l'ombre des conspirateurs
forces et m’en avait empêché.
— Au nom des dieux, Marcus ! gronda Petro. Tu comptes faire quoi, s’il y a un problème ?
— Présenter mes excuses à son père, tout avouer à ma mère, et trouver un prêtre qui pratique des tarifs raisonnables… Non mais tu me prends pour qui ?
Je commençais à éprouver une douleur dans l’épaule, mais je n’aurais changé de position pour rien au monde. Le soleil de ma vie avait posé sa tête sur mon cœur, et s’était profondément endormi. Au bord de ses cils, on remarquait la trace des larmes qu’elle n’avait pu retenir après. J’avais eu bien du mal à ne pas sangloter avec elle.
— La dame risque de voir les choses d’un autre œil, affirma Pedro. Crois-moi, arrête ça !
Un conseil particulièrement pervers : c’était à cause de l’expédition qu’il avait organisée dans la montagne que je ne pourrais plus jamais « arrêter ça ».
Sa femme s’éveilla elle aussi. Je l’observai avec intérêt en train d’analyser la scène : Helena Justina collée à moi, ses genoux passés sous les miens, sa main glissée dans la mienne, ses magnifiques cheveux éparpillés sur mon bras, son sommeil profond, mon calme sérieux…
— Marcus ! Que comptes-tu faire ? insista-t-elle à son tour d’une voix basse et tendue.
Comme Petro, Silvia aimait les situations claires.
— Terminer ma mission, et me faire payer aussi rapidement que possible…
Sur ces paroles, je fermai les yeux à mon tour.
Si jamais Silvia s’était mis en tête qu’Helena et moi avions entamé une relation scandaleuse, c’est uniquement moi qu’elle en blâmait. Quand Helena se réveilla, les deux femmes partirent ensemble se laver le visage et mettre de l’ordre dans leur tenue. À leur retour, elles arboraient cet air secrètement satisfait de femmes qui viennent d’échanger des confidences. Silvia portait ses cheveux attachés sur le cou, comme Helena avait l’habitude de le faire, et ceux de la fille du sénateur étaient noués avec des rubans, ce qui lui allait très bien. Elle ressemblait à un personnage de vase grec – et j’aurais aimé être le fier Hellène la saisissant par l’anse…
— Je suis perdu, déclara Petro. Laquelle est la mienne ?
— Oh ! si ça ne te fait rien, je prendrai celle qui a le nœud sur la tête.
Nous échangeâmes un regard. À tort ou à raison, si un homme marié a un ami célibataire endurci, il s’imagine qu’il dispose de critères à part. Cela faisait longtemps que mon ami Petro et moi n’avions pas partagé une telle complicité.
Connaissant Petronius et son intérêt pour le vin, je savais d’avance qu’il ne laisserait pas passer une telle occasion de faire quelques achats pour plus tard. Après nombre dégustations, il avait fini par se décider pour un petit blanc sec d’un coût modique, dont il me décrivit le pétillement avec l’enthousiasme communicatif d’un amateur éclairé. Il en acheta une barrique aussi haute que sa femme. Sa contenance atteignait une vingtaine d’amphores, c’est-à-dire assez pour placer mille flacons sur les tables d’une auberge – et beaucoup plus en y ajoutant de l’eau.
Silvia avait compté sur moi pour le faire renoncer à cet achat extravagant, mais il avait déjà payé. Il nous fallut attendre qu’il marque le tonneau à son nom, et qu’il procède à des arrangements compliqués pour revenir avec Néron et la carriole. C’était évidemment la seule solution. Silvia lui demanda alors comment sa famille allait regagner Rome, si toute la place était prise dans la carriole – et où ils habiteraient, avec la maison pleine de vin. Il ne répondit rien, tout à son euphorie, et personne ne s’en inquiéta : ce n’était pas sa première ineptie, et il s’en tirait toujours.
Nous finîmes par prendre le chemin du retour. La fille au nœud était assise devant moi. Exceptionnellement calme. En vue de la villa, la laisser partir me parut impossible. Après lui avoir répété une fois encore que je l’aimais, je dus me résigner.
Faisant preuve de tact, Petronius et Silvia s’arrêtèrent à l’entrée de la propriété, me laissant accompagner seul Helena Justina jusqu’à la maison. Quand je leur ramenai l’âne de location, ils gardèrent un silence poli.
— Je passerai vous voir dès que possible, annonçai-je sombrement.
— Oh ! par Jupiter ! s’écria Petro en sautant de sa monture. Buvons un dernier coup !
Même
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