À l'ombre des conspirateurs

pièce au joli décor gris et bleu de leur maison…
    — Pardonne mon erreur, tu n’es pas Barnabas !
    — Tu en es sûr ? osa-t-il plaisanter.
    Il se demandait comment réagir à mon arrivée soudaine.
    — Oui, affirmai-je calmement. Mais officiellement, Gnæus Atius Pertinax Caprenius Marcellus est en train de moisir dans son urne funéraire.
    — Justement ! Tu te rends compte du problème ! s’exclama Helena Justina.
    Je n’arrivais pas à comprendre comment elle pouvait rester assise à manger tranquillement. Elle grignotait son poulet en montrant les dents, signe que ses ennuis ne lui coupaient nullement l’appétit.
    Je me plantai au milieu de la pièce. À part le fait que j’avais l’intention de l’arrêter, une bonne vieille coutume romaine exigeait de rester debout en présence d’un supérieur. Pertinax s’efforçait de garder une position décontractée dans son fauteuil.
    — Par Jupiter ! Qui es-tu ? demanda-t-il sèchement. Qui t’a donné la permission d’entrer dans la chambre de ma femme ?
    — Je m’appelle Didius Falco, et j’entre où j’ai envie d’entrer. D’ailleurs, elle n’est plus ta femme !
    — J’ai entendu parler de toi, Falco !
    — Oh ! nous sommes de vieux amis, tous les deux. Un jour, tu m’as arrêté juste pour le plaisir, lui rappelai-je. Je suis au-dessus de ça ! Nous sommes quittes : tu as détruit mon appartement, et j’ai dispersé les biens de ta maison du Quirinal. Tes vases grecs se sont bien vendus, précisai-je en souriant. Vespasien était content. En revanche, ton Cupidon de Praxitèle nous a bien déçus. (Je savais qu’il l’avait payé une fortune.) C’était une copie…
    — Ça ne me surprend pas, je lui avais toujours trouvé de grandes oreilles, intervint Helena sur le ton de la conversation.
    La colère s’emparait de Pertinax. J’approchai un tabouret avec mon pied, et m’installai à un endroit d’où je pouvais les regarder tous deux. Observant attentivement Helena, je la vis rougir légèrement. Pertinax avait-il deviné que j’étais son amant ? Non, une telle idée ne lui traverserait jamais l’esprit.
    — Comment les choses se sont-elles passées ? demandai-je. Laisse-moi deviner. En avril, les prétoriens ont fait irruption chez toi pour t’interroger. (Il m’écoutait d’un air exagérément las.) Barnabas avait dû revêtir ta toge de sénateur, et c’est donc lui qui s’est retrouvé en prison. Il risquait tout au plus une bonne correction, quand on s’en apercevrait. En fait, l’un de tes complices a décidé de le faire taire pour toujours !
    Pertinax se laissa aller en arrière, et ses épaules s’affaissèrent.
    — Ferme-la, Falco !
    J’étais fasciné par les noix. Il recrachait les coquilles dans le bol, mais une grande partie retombait sur la table et sur le tapis égyptien.
    — Tu t’es vite rendu compte que tes amis conjurés se faisaient cueillir un à un…
    Sans le quitter des yeux, je fis une pause pour que mes paroles pénètrent bien dans sa tête. L’entraîneur Bryon le disait désespéré, mais à moi, il m’apparaissait seulement déplaisant ; à un tel point que mes cheveux se hérissaient sur ma tête du seul fait de me trouver dans la même pièce que lui. Il faisait partie de ces hommes ne se rendant nullement compte de l’antipathie qu’ils suscitent.
    — … Tu t’es dit que tu n’en réchapperais pas non plus. Ton demi-frère étant mort, tu as usurpé son identité, mais tu as révélé la vérité à sa mère, même si un mot prononcé de travers par une vieille qui a perdu la tête pouvait te perdre. Après tout, Barnabas et toi vous ressembliez tellement qu’il pouvait s’agir d’une solution permanente. Seulement voilà : tu t’es retrouvé prisonnier d’un personnage dont le statut se situe juste au-dessus de celui de l’esclave !
    Pertinax possédait les manières frustes d’un homme du Bruttium s’étant vu attribuer une position dans la société bien au-delà de celle qu’il méritait. Il cassa une autre noix. Un plébéien aurait tout de suite compris qu’il finirait tôt ou tard en prison, mais un fils de consul pouvait se permettre de me rire au nez. Plusieurs raisons, toutes personnelles, me donnaient envie de lui écraser mon poing sur la figure.
    Helena Justina avait terminé son repas et rangé son plateau. Elle se mit à genoux pour ramasser les coquilles éparpillées par Pertinax, comme une femme accomplie