À l'ombre des conspirateurs
Pertinax se trouvait là, il n’y avait pas intérêt à traînasser.
— Je t’accompagne, lui dis-je, car je n’avais pas du tout l’intention de le perdre de vue.
— Ce n’est pas nécessaire, Falco ! s’empressa d’intervenir Helena. Il ne peut pas quitter la villa. Il n’a plus d’identité, et nulle part où aller.
— Surtout que j’ai tes sales confrères sur le dos dès que je mets le nez dehors, ajouta Pertinax en affectant un air nonchalant.
— Ça veut dire quoi ?
— Tu n’es pas au courant ?
Helena m’en fournit l’explication d’une voix soucieuse.
— Deux hommes suivent Gnæus partout. Hier, il est parti faire une promenade à cheval, et ils l’ont empêché de regagner la maison pendant toute la nuit.
— Ils ressemblent à quoi ? demandai-je, dévoré par la curiosité.
— L’un à un gladiateur, mais l’autre n’est qu’un avorton.
— Ça me dit rien du tout. Tu as donc réussi à les semer ?
— Ils étaient grimpés sur des mules, et moi j’avais un bon cheval.
— Je vois. (J’omis de lui préciser que j’avais surpris les mules ce soir même, à l’intérieur de la propriété de son père.) Je n’ai rien à voir avec eux. Je travaille seul.
Pertinax souhaita avec désinvolture une bonne nuit à Helena, et disparut par le balcon après m’avoir jeté un coup d’œil méprisant. Un de plus.
Je le suivis jusqu’à la porte pliante et le regardai descendre les marches, se pavanant avec assurance. Ayant traversé une partie du jardin, il se retourna. Il ne pouvait manquer de voir ma silhouette, éclairée par les lampes de la chambre, se détacher dans l’embrasure.
Je pris soin de tirer moi-même la porte pliante et d’en assujettir solidement la fermeture. À cause de la présence des domestiques, Helena et moi ne pouvions pas parler ouvertement, mais il m’était facile de constater son soulagement d’avoir partagé ce lourd secret. Je me contentai de lui dire :
— J’aurais dû deviner tout seul : un homme qui mange salement, et ne ferme pas les portes quand il sort…
Elle m’adressa un sourire triste. Je lui souhaitai une bonne nuit et regagnai ma propre chambre. Avec tous ces gens autour d’elle, Helena Justina ne risquait rien.
Je n’en aurais pas dit autant de Pertinax. En se retournant vers la maison, il n’avait pas aperçu les deux silhouettes émergeant de l’obscurité sous le balcon : un gladiateur et un avorton.
Ils m’avaient forcément entendu au-dessus de leurs têtes. Quand ils traversèrent la cour comme deux ombres déformées sur un miroir mal poli, ils savaient parfaitement que je pouvais les voir. Cela ne les dérangeait en aucune façon. Sans hésiter, ils emboîtèrent le pas à Pertinax.
62
Rien ne vint troubler ma nuit, mais je la trouvai longue.
Mon ressentiment envers Pertinax n’était pas près de se calmer. Helena Justina se faisait une trop haute idée de ses devoirs, si bien que tôt ou tard, Pertinax et moi serions obligés de conclure un accord.
Une fois le choc de cette révélation passé, je tentai de me remémorer ce que j’avais appris sur leur mariage. Helena avait mené une vie solitaire, dormant seule dans sa magnifique chambre. Pertinax disposait de ses appartements privés dans une autre partie de la maison, avec son confident Barnabas. Pour un jeune sénateur ambitieux, prendre une épouse constituait une étape obligatoire pour gagner des votes supplémentaires – ceux des imbéciles. Ayant satisfait à cette nécessité, Pertinax entendait bien profiter de ses droits maritaux, mais il lui comptait les instants passés auprès d’elle.
Pas étonnant que les femmes de sénateurs s’intéressent de trop près aux gladiateurs et autres formes inférieures de vie. Pertinax aurait dû s’estimer heureux que sa propre femme ait eu l’honnêteté de divorcer d’abord…
Le lendemain matin, je me contentai d’errer au hasard dans la villa. Je découvris l’ex-consul dans un vaste jardin potager, à l’arrière de la maison, parlant asperges avec l’un des jardiniers.
— Tu as vu ton fils ce matin ? demandai-je.
Je rêvais d’apprendre que les deux individus suspects lui avaient écrabouillé la tête, mais Marcellus s’empressa de me détromper :
— Oui, Falco. D’ailleurs, il faut que nous parlions tous les deux…
Il donna encore quelques instructions au jardinier, et nous entreprîmes une promenade dans les allées du jardin. Nous avancions
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