À l'ombre des conspirateurs

très lentement à cause de l’infirmité du consul.
    — Quelles sont tes intentions ? demanda Marcellus sans atermoyer.
    — Mes instructions ne couvrent pas ce problème. Je suis obligé d’en référer à l’empereur.
    Nous venions de nous arrêter devant un long bassin, contenant des poissons que le soleil levant faisait étinceler. Sa haute carcasse s’y reflétait tout près de la mienne plus trapue. Je me penchai pour admirer une très rare variété de pervenche.
    — Tu permets que j’en prenne une bouture ?
    — Prends ce que tu veux.
    J’arrachai un rejet avec le plus grand soin. Le consul m’observait avec un certain amusement.
    — On est tous comme ça, dans la famille ! Quant à ton fils, tu ne me permettras jamais de l’attacher à la queue d’un âne pour l’emmener loin d’ici. Même si je le faisais, ce serait sans doute peine perdue. Vespasien pourrait très bien se montrer furieux. J’imagine qu’il n’a aucune intention d’offenser quelqu’un d’aussi puissant que toi en mettant son héritier en prison. Domitien Cæsar a aussi comploté. Traiter ton fils avec plus de sévérité apparaîtrait illogique.
    Je m’avançais beaucoup, mais savais néanmoins que l’empereur préférait les solutions faciles. Une offre de grâce amènerait peut-être Marcellus à coopérer…
    — Pourquoi trouves-tu suspect l’incendie accidentel du petit temple d’Hercule ? demanda-t-il en me contemplant d’un air rusé qui dévalait le long de son nez massif.
    — Il ne s’agit pas d’un accident. Un magistrat pourrait facilement prouver la culpabilité de Barnabas, mais je sais aussi qu’une armée d’avocats en mal de publicité se précipiterait pour défendre un fils de consul.
    — Mon fils est innocent, insista Marcellus.
    — La plupart des meurtriers le sont, quand on leur pose la question ! (Le consul cachait mal son exaspération.) La suggestion d’Helena Justina me paraît la meilleure.
    — C’est hors de question ! Mon fils doit recouvrer son nom et sa position sociale.
    — Tu as l’intention de le soutenir dans ce projet, quelle qu’en soit l’issue ?
    — C’est mon héritier.
    Nous étions lentement parvenus à une pergola.
    — Une réhabilitation me semble difficile à obtenir. Vespasien jugera sûrement que ramener un mort à la vie incitera trop de gens à se poser des questions. Et puis, ta fortune est une proie rêvée pour tenter une escroquerie ; l’empereur pourrait déclarer qu’un affranchi malhonnête a tenté de profiter de la mort de son protecteur.
    — Je me porterai garant de son identité.
    — Très bien. En haut lieu, on te fera peut-être passer pour un vieillard sénile, à la santé chancelante, qui a perdu l’héritier qu’il aimait et qui est prêt à tout pour le croire vivant.
    — Helena se portera aussi garante de lui ! aboya le consul.
    Je ne pus m’empêcher de rire jaune.
    — J’en suis sûr. De ce côté-là, il a bien de la chance !
    Nous restâmes silencieux quelques instants, souriant malgré nous en pensant à Helena qui, à chaque fois qu’elle avait connaissance d’une manigance, volait au secours de la vérité.
    — Ils n’auraient jamais dû se séparer ! se plaignit amèrement le consul. Helena ne souhaitait pas divorcer.
    — Helena Justina, précisai-je froidement, estime que des gens mariés doivent conserver des relations d’affection pendant une bonne quarantaine d’années. Elle savait que ce ne pouvait être le cas avec ton fils.
    — Si, ç’aurait été possible ! affirma Marcellus. Mon fils a de grandes capacités.
    — Ton fils est un vulgaire criminel ! Pourtant, le respect anachronique de Vespasien envers les patriciens protégera Pertinax. Il survivra pour s’occuper des masques funéraires de tes ancêtres. Après tout, un criminel de plus ou de moins au Sénat ne fera pas une grande différence.
    — Te voilà bien cynique !
    — Consul, je dis toujours ce que je pense. J’ai tâté de la prison d’Herculanum. Pas vraiment terrible. Si je laisse Pertinax ici, me donnes-tu ta parole qu’il ne sortira pas de ta propriété ?
    — Évidemment ! s’exclama-t-il d’un ton sec.
    J’étais loin de penser que son cher fils se sentirait lié par cet arrangement, mais je n’avais pas le choix. Marcellus pouvait mobiliser des dizaines d’esclaves pour m’empêcher de l’arrêter. La redoutable cavalerie commandée par Pertinax, quand il avait tenté de