À l'ombre des conspirateurs
je me serais battu avec lui pour régler le problème, mais Bryon le secondait. Pour l’instant, ce dernier mangeait des figues appuyé à un poteau. Il me regarda d’une façon bizarre, mais avec son maître à côté, je préférai ne pas lui adresser la parole. Pertinax fit exactement comme si je n’existais pas. La maîtrise avec laquelle il faisait galoper Ferox me paraissait illustrer à merveille la supériorité qu’il détiendrait toujours sur moi.
S’il restait du crottin frais sous les cyprès, les mules de la veille étaient parties. Quelque chose me disait cependant que je ne tarderais pas à les revoir.
J’étais déjà arrivé à la route, quand un jeune garçon me rattrapa. Je m’étais assis sur une borne pour réfléchir, me maudissant pour m’être querellé avec Helena, la maudissant, et maudissant Pertinax… au bord du désespoir.
— Didius Falco !
Le garçon portait des traces de nourriture sur sa tunique. Il exhibait un problème de peau qu’il valait mieux essayer d’ignorer, ainsi que des genoux sales et vilainement couronnés. S’il s’était évanoui sur l’estrade du marché aux esclaves, j’aurais pourtant mis ma vie en gage pour le sauver.
Il me tendit une tablette de cire. Mon cœur fit un bond. Le texte était court, et je percevais les inflexions de voix d’Helena dans tous les mots :
« Il ne m’a jamais battue, même si j’ai toujours eu l’impression qu’il pourrait le faire. Comment peux-tu penser que je pourrais choisir quelqu’un comme ça, après t’avoir connu ?
Ne te jette surtout pas à l’eau. HJ »
Chez moi, sur l’Aventin, je trouvais parfois des lettres d’amour sous le paillasson. Je n’en conservais jamais aucune. Cette fois, j’en étais certain : dans une quarantaine d’années, quand mes exécuteurs testamentaires, tout pâles, trieraient mes effets personnels, ils trouveraient cette tablette de cire amoureusement enveloppée dans du lin, et rangée dans mon nécessaire à écriture.
63
Même s’il m’avait demandé de venir le voir, Æmilius Rufus ne s’était nullement senti obligé de m’attendre. Il allait passer toute la journée au tribunal. Je tuai poliment le temps en l’attendant, et déjeunai chez lui. Plus avisé, Rufus prit son repas à l’extérieur.
Je me perchai avec prudence sur l’un des sièges en argent aux bords aussi tranchants que des couteaux, garnis de coussins de crin de cheval durs comme la pierre, en adoptant l’expression pensive d’un homme qui ne trouve pas un seul endroit confortable où poser ses fesses. J’étais en outre installé sous une fresque représentant Achille en train de pleurer Penthésilée, la reine des Amazones, juste après l’avoir lui-même trucidée. Sujet réjouissant s’il en est pour une salle d’attente. Je restai bien tranquille dans mon coin pour éviter d’avoir à faire la conversation à Æmilia Fausta.
Finalement, Rufus daigna rentrer. Je le vis parler à un très beau garçon, un esclave d’Illyrie qui, accroupi sur une marche du perron, s’activait à nettoyer le porte-mèche d’une lanterne fort intéressante : une chaînette en bronze permettait de la tenir à la main et des côtés en corne protégeaient la flamme, tandis que le sommet amovible était percé de trous pour assurer la ventilation.
— Salut, Falco ! (Rufus paraissait de charmante humeur.) Tu admires mon esclave ?
— Pas vraiment. Plutôt sa lampe.
Il m’adressa un regard étrange qui me laissa pensif.
Nous prîmes la direction de son bureau. Décorée de souvenirs rapportés de l’étranger quand il y était en poste, c’était la seule pièce de la maison possédant un certain caractère. On y trouvait pêle-mêle des gourdes aux formes étranges, des lances tribales, des fanions de navires dévorés par les mites, des tambours… Le genre d’objets que Faustus et moi aimions collectionner quand nous étions adolescents, avant de nous intéresser davantage aux femmes et au vin. Il se laissa tomber en travers d’un lit de repos, m’offrant ainsi la meilleure vue possible sur son profil de médaille, et sur les reflets que le soleil allumait dans ses boucles blondes. Mes pensées s’envolèrent vers les femmes et le genre d’hommes qui les font craquer… Fort déprimé, je m’installai sur un tabouret bas.
— Tu as demandé à me voir ? lui rappelai-je patiemment.
— C’est exact ! Didius Falco, les événements ont tendance à se
Weitere Kostenlose Bücher