À l'ombre des conspirateurs
ancienne cité, et même, à une certaine époque, une des plus importantes d’Italie… Si vous faites partie des gens raffinés, et que vous pouvez accepter qu’on vous mente perpétuellement, vous y serez sur le chemin qui vous conduira à la fortune. C’est que, voyez-vous, aucune prétention littéraire n’est honorée dans cette cité, l’éloquence n’y est point reconnue, la sobriété et une conduite décente n’y sont pas davantage complimentées ou récompensées…»
Pétrone, Le Satiricon
12
Vespasien avait signé mon laissez-passer. Je réussis à arracher ce trésor des griffes de ses secrétaires, et m’en fus choisir une mule gouvernementale dans les écuries de la porte Capena. L’ancienne tour de guet se dresse toujours au début de la voie Appienne, et au-delà la cité se prolonge en un faubourg tranquille. Des millionnaires pleins de discernement – dont fait partie le père d’Helena Justina – n’ont pas hésité à s’y installer. J’en profitai pour porter à Helena le petit coffre contenant des recettes. Elle m’aurait certainement invité à entrer pour me remercier, car c’était une dame fort sociable, mais le portier prétendit qu’elle était absente.
Les Camillus n’avaient pas besoin de faire installer une mosaïque à l’entrée de la demeure familiale, mettant les visiteurs en garde contre le chien méchant. Ce bipède teigneux se débarrassait d’eux sans même leur laisser le temps de poser le pied sur le seuil. Environ 16 ans, doté d’un long visage couvert d’acné, surmonté d’une toute petite boîte crânienne contenant un minimum de cervelle. Chacune de mes tentatives pour lui faire comprendre quoi que ce soit m’avait laissé épuisé.
Je refusais d’admettre que les ordres émanaient d’Helena elle-même. Tout à fait capable de me vouer aux gémonies, elle n’hésiterait pas à me le dire en personne. Seule consolation, cette attitude du portier m’aidait à résoudre un cas de conscience : faute d’entrer, j’aurais du mal à lui dire que je n’avais pas l’intention de la revoir.
Je demandai à ce jeune crétin où elle se trouvait. Vainement. Après l’avoir traité de menteur, je lui affirmai que même devenue une vieille haridelle chauve et édentée, il resterait encore assez de bon sens à Helena Justina pour dire au petit personnel où elle se rendait. Il ne se montra nullement impressionné, et je me contentai de lui laisser le coffre, en le priant de transmettre mes salutations au sénateur. Il ne me restait plus qu’à quitter Rome.
Je commençai par suivre la direction du sud en évitant la côte – que je déteste. À Capoue, j’abandonnai la voie Appienne qui continuait son bonhomme de chemin vers Tarente, située dans le talon de la botte de l’Italie. Moi, je devais me diriger vers l’ouest, c’est-à-dire vers les orteils, en m’engageant sur la via Popilia qui filait en direction de la Sicile. Je l’abandonnerais juste avant le détroit de Messine.
Il me fallut traverser le Latium, la Campanie, la Lucanie, puis m’enfoncer profondément dans le Bruttium. Autant dire parcourir la moitié de l’Italie. J’eus l’impression de voyager pendant des mois. Après Capoue vinrent Nola, Salerne, et bien d’autres villes. Je longeai ensuite la côte Tyrrhénienne jusqu’à la route de Cosenza, tout au sud. Une fois-là, le sol s’élevait en pente raide. La mule commença à faire la mauvaise tête, sans doute pour me donner raison d’avoir appréhendé cette partie montagneuse du trajet.
Cosenza, capitale provinciale du Bruttium. Un assemblage d’édifices bancals à un seul étage. Bâtie dans les collines, la cité était d’accès difficile. Peut-être la raison pour laquelle elle n’avait jamais réussi à prendre autant d’importance que Crotone.
J’y fis étape dans une auberge, ne parvenant pas à fermer l’œil de la nuit. C’est que je me trouvais maintenant dans la Magna Græcia, la Grande-Grèce. Rome l’avait conquise depuis longtemps. En principe. Je prenais un maximum de précautions pour me déplacer à travers ce territoire à la réputation sinistre.
Les routes étaient pratiquement vides. À Cosenza, il n’y avait qu’un seul autre voyageur à l’auberge, et je ne l’aperçus même pas. Il disposait d’une paire de chevaux : un superbe animal qui aurait pu passer pour un cheval de course, accompagné d’une bête de somme. Depuis Salerne au moins, nous
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