À l'ombre des conspirateurs
j’en avais davantage su sur ce deuxième homme, mon humeur folâtre s’en serait sûrement trouvée affectée. Et si j’avais su quelle femme j’allais rencontrer là-bas, je n’y serais pas allé du tout !
Troisième partie
~
Des vacances familiales tranquilles
La baie de Naples,
fin juin
«… orgies, liaisons amoureuses, adultères, voyages à Bai æ , fêtes sur la plage, festins, concerts, promenades en bateau…»
Cicéron, Pour la Défense de C æ lius
22
En traversant la plaine de Capoue, il nous fallut surmonter une première crise. Mon copain Petronius Longus se rappela que la dernière fois que nous avions pris des vacances ensemble, il avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus. En fait, j’utilisais sa nichée comme couverture pour mon enquête. L’un de mes nombreux neveux nous accompagnait aussi : Larius, qui venait de fêter ses 14 ans. Ma sœur s’était mis dans la tête qu’il avait besoin d’être surveillé de près. Ce ne serait certainement pas le cas : j’étais d’avis qu’il fallait profiter de vacances au bord de la mer pour se conduire d’une manière totalement irresponsable.
J’avais été mal inspiré d’émettre cette remarque devant Arria Silvia, la femme de Petro. Ce n’était pas, hélas ! ma première balourdise…
Nous nous trouvions encore à dix lieues de la mer, mais l’atmosphère devenait néanmoins de plus en plus maritime. Petronius et Silvia croyaient dur comme fer que nous nous dirigions vers Baiæ, la plus chic station balnéaire de toute la baie de Naples. Malheureusement, Baiæ se situait beaucoup trop au nord pour ce que j’étais venu faire dans le coin. J’avais beau me creuser la tête, je n’avais pas encore trouvé la meilleure manière de leur annoncer la nouvelle.
Nous avions déjà contourné Capoue, et les rochers à pic des Apennins se dressaient à notre gauche. À droite, les collines trempées par la pluie avaient progressivement cédé la place à la vallée. Au loin, l’horizon était bouché par un ciel gris qui paraissait se confondre avec l’océan. Nous approchions de Naples, et n’allions pas tarder à voir le mont Vésuve se détacher de la chaîne de montagnes.
Petronius tenait les rênes. Je l’avais relayé de temps en temps, mais puisque c’était sa famille qui s’ébrouait à l’arrière, quoi de plus normal qu’il en prenne la responsabilité ? Nous voyagions en char à bœuf : trois adultes, trois petites filles, des paniers de provisions, des amphores, assez de vêtements pour un séjour de six mois ; et puis plusieurs chatons arrivés au stade où ils commençaient à faire des bonds pour explorer le monde, mon neveu Larius, ainsi qu’une voisine âgée de 15 ans que Silvia avait amenée avec elle pour l’aider. Ollia, cette adolescente grassouillette, était sujette à des accès de larmes incontrôlés. Elle rêvait de quelque chose, sans parvenir à décider quoi.
J’avais mis Silvia en garde : un garçon pêcheur débrouillard n’aurait aucun mal à la séduire sur la plage. Silvia, minuscule mais intraitable, m’avait répondu par un haussement d’épaules. Petronius, d’un caractère toujours égal, savait parfaitement s’en accommoder. Quant à moi, je l’avoue franchement, elle me terrorisait.
Il y avait cinq ans que Petronius avait pris femme. Juste après notre retour de Bretagne, j’avais vu Silvia et son père, rétameur de cuivre, jeter leur dévolu sur Petro. Ils m’avaient fait penser à deux vieilles commères en train de choisir un hareng frais au marché. Je m’étais bien gardé de faire aucun commentaire : cela n’aurait fait que chambouler le pauvre garçon pour rien. Je le connaissais suffisamment pour savoir qu’il avait toujours été attiré par des donzelles délicates, à la poitrine plate, et qui lui donnaient des ordres d’un ton méprisant. Que pouvait-on y faire ?
À mon plus grand étonnement, ce mariage avait jusque-là constitué une réussite. Il faut dire que le père de Silvia les avait installés d’une façon qui traduisait assez le bonheur qu’il éprouvait à être débarrassé d’elle. (Petronius, une aimable canaille, au fond, devait viser la galette du vieux depuis le début.) Les deux époux devaient se quereller à l’occasion, mais jamais en public. Ils avaient fabriqué Petronilla, Silvana et Tadia en un temps record, et Petro ne s’était pas livré à cet exercice pour amender ses droits civiques :
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