À l'ombre des conspirateurs
il adorait trop ouvertement ses enfants. Il m’arrivait même de me demander si, de temps à autre, il ne regardait pas sa femme avec les yeux de l’amour. De son côté, Silvia avait beau le porter parfois aux nues, elle ne l’en considérait pas moins comme un mal dégrossi.
La paternité n’avait affecté Petro en rien. Il accomplissait imperturbablement la tâche assignée, sans s’émouvoir des assauts de sa turbulente progéniture. Le jeu favori des deux aînées était d’escalader son dos puissant, avant de se laisser glisser à terre en malmenant les galons de sa tunique. Tadia, la plus petite, préférait observer le paysage assise sur mes genoux. Comme elle se faisait réprimander quand elle suçait son pouce, elle préférait s’acharner sur l’un des miens. Les détectives privés sont des brutes aux mâchoires d’acier et au cœur d’airain, qui traitent les femmes comme des objets utilitaires. Oui… mais Tadia n’avait que 2 ans. Elle n’aurait pas compris qu’après avoir joué avec elle, son gentil oncle Marcus la délaisse pour s’occuper de la première petite fille qui allait lui sourire…
Petronius venait d’arrêter la carriole, stoppant du même coup le cours de mes pensées. Tadia ouvrait de grands yeux inquiets dans un visage tourmenté.
— Il est évident qu’elle a envie de faire pipi ! me reprocha son père d’un ton sec. Tu es aveugle, ou quoi ?
La petite Tadia avait la réputation de supporter toutes ses misères en silence. Exactement le genre de femme que je recherchais depuis toujours. En vain.
Pour l’heure, nous étions tous fatigués, au point de nous demander si nous avions eu raison d’entreprendre cet épuisant voyage.
— Bon, je me suis arrêté, souligna Petronius.
Quand il tenait les rênes, il détestait avoir à faire halte. Pourtant, avec trois enfants, dont l’aînée n’avait pas 5 ans, les haltes n’avaient fait que se succéder.
Personne ne faisant mine de bouger, je n’eus d’autre choix que de faire descendre Tadia moi-même.
Dans la plaine de Capoue, on ne trouve pas de toilettes publiques. Mais qui allait se soucier d’une fillette de 2 ans en train d’arroser les récoltes ?
Petronius Longus attendit dans le char à bœuf, tandis que Tadia et moi cherchions un coin propice. Nous nous trouvions dans la région la plus fertile de l’Italie, où alternent riches vignobles, immenses jardins potagers, pâturages, et oliveraies bien entretenues. Il n’était pas rare d’y rencontrer des troupeaux de moutons atteignant pas moins de six cents bêtes. Nous aurions pu tout aussi bien nous trouver dans les déserts d’Afrique, mais Tadia n’en tenait pas moins à trouver un buisson. Malheureusement, l’endroit où nous nous étions arrêtés n’offrait pas beaucoup de végétation. À 2 ans, Tadia faisait déjà partie de ces femmes qui refusent de poser culotte dans la nature, si elles risquent d’être vues par quelqu’un embusqué dans un terrier de renard à moins de cinq lieues.
Trouver un endroit discret nous emmena si loin que nous perdîmes la route de vue. Sans doute effrayée par notre présence, une sauterelle bondit sous nos yeux, abandonnant le rameau fleuri sur lequel elle s’était réfugiée. L’odeur du thym que nous foulions aux pieds nous parfumait les narines. Des chants d’oiseaux s’élevaient joyeusement de tous côtés. J’aurais aimé profiter plus longtemps de cet enchantement, mais cela était hors de question. Petronius avait établi une règle : quand on voyageait avec toute une famille, il fallait brûler les étapes pour arriver à destination le plus vite possible. Difficile de lui donner tort.
Après avoir aidé Tadia à arroser copieusement le buisson que nous avions fini par trouver, je la pris par la main pour repartir vers la carriole.
— Oooh ! Tadia Longina, regarde ce joli papillon…
Tandis qu’elle se perdait dans la contemplation de l’insecte, je regardai nerveusement en direction de la route. Du coin de l’œil, j’avais aperçu un essaim de silhouettes noires. Des hommes à cheval venaient d’entourer nos compagnons, comme une volée de moineaux fondant sur des miettes de pain. La silhouette frêle d’Arria Silvia se dressa, la tête haute. Elle me donna l’impression de réciter le discours que Caton l’Ancien avait débité devant le Sénat, pour expliquer l’urgence qu’il y avait à détruire Carthage… Quoi qu’il en fut, ils tournèrent bride
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