À l'ombre des conspirateurs
et s’éloignèrent au galop.
Reprenant Tadia par la main, je fonçai avec elle vers la route, ramassant au passage l’un des chatons qui avait décidé d’aller explorer les environs. Quand je fus de nouveau installé près de Petronius, il fit démarrer le bœuf.
Silvia s’était enfermée dans un silence maussade, tandis que j’essayais de dissimuler mon état fébrile. Petro dirigeait le lourd attelage sans se départir de son calme légendaire, sauf quand il repérait au loin un pont étroit ou que ses filles entamaient une dispute. Il tenait négligemment les rênes dans sa main gauche, la droite posée sur sa poitrine – sa façon à lui de se décontracter.
— C’était qui, ces types ? murmurai-je discrètement.
— Oh !… Eux ? Une dizaine de ploucs casqués, et très mal embouchés, à la recherche d’un idiot quelconque qui leur avait marché sur les pieds. Ils ont commencé à fourgonner dans nos affaires, mais Silvia leur a montré de quel bois elle se chauffe. (Personnellement, plutôt que de me mettre Silvia à dos, j’aurais préféré laisser entrer un bataillon de moucherons dans mon nez.) Je me suis présenté comme un simple touriste romain arrêté au bord du chemin pour vider une querelle avec sa femme. Alors ils ont foncé en direction de Capoue. Un individu à cape verte a crié que je n’étais pas celui qu’ils cherchaient…
— Et ils ont dit qui ils cherchaient ? demandai-je d’une voix douce.
— C’est un pauvre connard qui s’appelle Falco, gronda Petronius.
23
Fin juin. Tous ceux qui en avaient la possibilité avaient fui Rome. Certains s’étaient installés dans leurs maisons de campagne, d’autres au bord de la mer. Je tenais à me sentir protégé par des portes closes le plus vite possible, mais la foule des estivants rendait mon problème difficile à résoudre.
Je savais à quoi m’en tenir : Barnabas se baladait toujours enveloppé dans son horrible cape verte, et dans un endroit très précis : en Campanie, où il espérait mettre la main sur moi.
Ce n’étaient pas les villages qui manquaient, tout autour de la baie, mais nous refusâmes de nous installer dans certains, et les autres nous refusèrent à leur tour. La cité de Naples elle-même, avec ses magnifiques palais d’été, nous paraissait trop chère pour notre bourse. Quant à Puteoli, le lieu favori des Romains avant le développement d’Ostie, trente ans auparavant, elle comportait un port de commerce extrêmement bruyant. Misenum ne nous tentait vraiment pas : non seulement un endroit pouilleux, mais abritant aussi la flotte impériale, et donc grouillant de personnages officiels. Baiæ, la bourgade à la mode, n’en offrait pas moins des logements sales où les enfants étaient interdits de séjour. Surrentum était à cheval sur un ravin extraordinairement pittoresque, mais il n’y avait que deux façons de s’y rendre : soit par bateau, soit en suivant un chemin tortueux pendant des lieues et des lieues. Si jamais un assassin dangereux s’était lancé à ma poursuite, Surrentum pouvait se transformer en piège mortel… Pompéi était trop chic pour nous, tout comme Herculanum. La source thermale de Stabiæ regorgeait de vieux messieurs catarrheux, accompagnés de leurs épouses acariâtres. Il y avait aussi des villages sur les pentes du Vésuve, mais on avait promis la mer aux enfants.
— Le prochain de ces tarés de Campaniens qui secoue à la fois la tête et son pot de chambre en regardant mes enfants risque de me faire perdre mon calme, énonça posément Petronius.
— Si on essayait Oplontis ? suggérai-je d’un air faussement candide.
De bonnes odeurs de rougets grillés provenaient de ce petit village de pêcheurs situé au centre de la baie, laissant bien augurer des lieux. Sur place, nous découvrîmes des contrebandiers tranquillement assis en train de boire, et des jeunes pêcheurs qui s’activaient à réparer leurs filets. Évidemment, tous les yeux se fixèrent sur nous. L’endroit nous convenait : un petit trou pas cher, de toute évidence, et suffisamment petit pour assurer la défense d’une manière efficace. Si une troupe armée se présentait, une foule de curieux sortirait de tous les cabanons édifiés au bord de la plage. En outre, Oplontis était précisément le lieu où j’avais besoin de résider.
Une vieille édentée, vêtue de noir, accepta de nous louer deux misérables chambres, au premier étage d’une
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