À l'ombre des conspirateurs
hostellerie qui avait connu de meilleurs jours. Petronius examina soigneusement les lieux. Il étudiait la possibilité d’évacuer sa famille par l’écurie, à l’arrière du bâtiment, dans le cas où des individus à la mine patibulaire pénétreraient dans la cour.
Nous étions les seuls clients. Rien de surprenant.
— Pour une nuit, on se débrouillera. (Petro essayait de se convaincre lui-même.) Demain, on cherchera quelque chose de mieux…
Façon de parler : il savait fort bien que nous n’en bougerions plus pendant toute la durée de notre séjour.
— Il fallait s’arrêter à Baiæ, geignit Silvia. Vous auriez dû m’écouter !
J’ai souvent remarqué que dans un groupe, même quand chacun est épuisé au point de tenir à peine debout, les épouses trouvent encore l’énergie de se plaindre. Larius ne cessait de renifler en tordant le nez, prétendant sentir quelque chose de bizarre. L’odeur des algues, peut-être ?…
— Oh ! Larius, arrête de faire cette tête ! m’écriai-je. Attends de sentir les latrines publiques de Stabiæ ou de Pompéi !
Un puits occupait le milieu de la cour, tandis qu’une vigne vierge étique tentait d’escalader une pergola. Larius et moi nous assîmes sur un banc pendant que Silvia organisait les lits. Elle avait visiblement envie de se quereller avec Petronius. L’une des chambres possédant une ouverture fermée par un simple rideau de cuir, nous pouvions entendre une phrase qui revenait souvent : « Il n’a jamais cessé de nous attirer des ennuis. » Moi, bien sûr.
La douce colombe de Petronius l’informa enfin que demain, à l’aube, ils rentraient à la maison avec leurs enfants. Nous ne pûmes saisir ce qu’il répondit à voix basse : quand mon ami se laisse aller à jurer, il peut se montrer incroyablement vulgaire et percutant sans élever la voix.
La tension parut se relâcher, et nous vîmes bientôt apparaître Petro. Il commença par se verser un grand seau d’eau sur la tête puis, après un bref instant d’hésitation, vint nous rejoindre sur le banc. Pourtant, il était évident qu’il avait un grand besoin de solitude. Il sortit un flacon gris-vert de sa tunique et se mit à boire au goulot, en voyageur qui a fait beaucoup plus de chemin qu’il n’en avait l’intention au départ, ce qui lui a valu un supplément de contrariétés.
— Alors, cette installation ?
— Modeste. Quatre lits et un seau.
— Silvia est vraiment fâchée ?
— Pas pour longtemps. (Un léger sourire lui retroussa les lèvres.) On a mis Ollia et les enfants dans une pièce, vous devrez partager l’autre avec nous.
Je proposai d’emmener Larius faire un tour pendant une heure, mais Petro poussa un grognement irrité. Il recommença à boire, sans manifester la moindre intention de faire circuler le flacon. Au bout d’un moment, il se sentit suffisamment ragaillardi pour se lancer à l’attaque :
— Tu aurais tout de même pu me prévenir, Falco !
Je laissai échapper un grand soupir, mais ne pus rien répondre car sa femme venait de descendre.
Silvia paraissait avoir recouvré son calme. De toute façon, elle était suffisamment orgueilleuse pour se montrer efficace au milieu des pires vicissitudes. Elle nous apportait des coupes sur un plateau. Je refusai d’un geste : j’avais très envie de goûter aux fameux vins de Surrentum et du Vésuve, mais certainement pas ce soir.
— Falco ! Tu aurais tout de même pu nous prévenir ! s’exclama à son tour Arria Silvia, d’un ton amer.
— Silvia, j’ai été chargé d’un travail. Ça m’arrange de passer inaperçu au sein d’une famille. Dès que j’aurai interrogé l’homme que je dois rencontrer, je vous laisserai tranquilles. Petronius n’a rien à voir là-dedans.
— Oh ! je vous connais trop bien ! ragea-t-elle. Vous allez me laisser toute seule avec les enfants dans cet horrible village, pour aller faire vos petites affaires. Et vous refuserez de m’en parler ! En tout cas, Falco, j’exige de savoir qui étaient ces hommes qui ont entouré la carriole cet après-midi !
Silvia avait le chic pour aborder les sujets que ses compagnons mâles faisaient tout pour éviter.
Je devais être plus fatigué que je ne le pensais. Je commençais à me dire que je n’étais plus capable de faire face à la situation. Vivent les vacances !
— L’individu en vert, certainement Barnabas, un affranchi. Ne me demande pas qui lui a fourni la
Weitere Kostenlose Bücher