Abdallah le cruel
l’étendue, les princes reçurent
une dotation forfaitaire. L’émir les autorisa aussi à emporter du palais le
mobilier, les esclaves, les chevaux et les concubines de leur choix et les
dispensa, eux et leur descendance, du paiement des impôts et des taxes. L’un
après l’autre, ils déménagèrent, ne revenant au palais que pour les cérémonies
officielles auxquelles ils étaient conviés.
Certains ne se firent pas à leur
nouvelle existence. Désabusés, ils constataient que leurs prétendus amis,
qu’ils voyaient quotidiennement, espaçaient leurs visites. Elles n’avaient été
qu’un prétexte pour s’introduire à la cour et avoir accès aux dignitaires et
aux ministres dont ils espéraient obtenir des marchés et des passe-droits.
Désormais, ces « fidèles » n’avaient plus besoin de leurs anciens
protecteurs et s’adressaient directement aux responsables des bureaux dont les
« tarifs » furent bientôt connus de tous les négociants. Les
mécontents reprochèrent à Kasim d’avoir mal plaidé leur cause et d’être le
principal responsable du déclin, relatif, de leur influence. Assailli de
récriminations, le frère de l’émir finit par s’emporter et asséna aux importuns
leurs quatre vérités, se servant des arguments utilisés par Abdallah. Peu de
temps après, son corps sans vie fut retrouvé dans une forêt proche de Kurtuba.
Torturés, ses domestiques avouèrent l’avoir tué sur ordre de son frère, Hisham.
Arrêté, celui-ci protesta hautement de son innocence. Sa vie, dit-il, répondait
de celle-ci. De fait, il était le seul frère du souverain à avoir
volontairement quitté le palais après son mariage avec une riche arabe
syrienne. Détestant ce qu’il appelait les « miasmes fétides de la
cour », il se consacrait à la gestion des domaines de sa femme. Il venait
si rarement dans la capitale que le peuple avait fini par oublier son
existence. Lorsque ses oncles, ses cousins et ses neveux avaient tenté de
l’associer à leurs démarches, il avait sèchement rabroué leur émissaire et
l’avait chassé de sa résidence. Il avait alors reçu des menaces l’avertissant
que sa déloyauté lui vaudrait une punition exemplaire et s’en était ouvert au
cadi de la grande mosquée, auquel il faisait des dons importants pour les
pauvres. Hisham avait trop le sens de la droiture pour dénoncer les auteurs de
ces lettres, ses propres parents. Lors de son procès, il crut naïvement que son
ami le cadi viendrait témoigner en sa faveur et ferait état de ses confidences.
Le dignitaire religieux, effrayé à l’idée d’être mêlé à une affaire d’État, se
garda bien d’intervenir et le malheureux fut mis à mort le 21 chaaban 284 [90] .
Bien que doutant de sa culpabilité, l’émir ne l’avait pas gracié. Il était
furieux de ce que son frère ait refusé de révéler les noms des princes qui
avaient tenté de l’approcher et qui étaient donc des conspirateurs susceptibles
de s’attaquer aussi à sa propre personne. Toutefois, afin que les véritables
coupables vivent dans la crainte d’être un jour démasqués et réfrènent donc
leurs ardeurs criminelles, il décida de leur adresser un avertissement
indirect. À la surprise générale, il ordonna que la cour porte officiellement
le deuil du condamné, ce qu’il n’avait pas fait lors de la disparition de ses
deux fils, et il combla de multiples faveurs la veuve et les enfants d’Hisham,
victimes de la trop haute idée que son frère se faisait de l’honneur.
À Ishbiliyah, où le calme était
revenu, une sourde rivalité opposait toujours les Banu Khaldun aux Banu
Hadjdjadj. Ibrahim Ibn Hadjdjadj n’avait pas apprécié que Kuraib Ibn Khaldun
ait fait don au souverain, sans le consulter au préalable, de la rançon
extorquée par Mutarrif. Il avait dû verser vingt-cinq mille pièces d’argent en
échange de la libération de son fils, Abd al-Rahman. De plus, en agissant de la
sorte, son rival avait implicitement reconnu qu’ils s’étaient tous rendus
coupables de complots contre l’émir. Doté d’une excellente mémoire, ce dernier
chercherait, un jour ou l’autre, à se venger et utiliserait contre eux ce
semi-aveu. Pour l’heure, Abdallah paraissait se désintéresser de la troisième
ville d’al-Andalous. Il y avait envoyé comme wali Ibrahim Ibn Hashim Ibn Abd
al-Aziz, fils de l’ancien favori de son père. Libéré avec les siens à la mort
de Mundhir, il vouait au
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