Abdallah le cruel
possédait de vastes domaines dans la
région de Tingis. Il mettait toutefois comme condition à son départ l’octroi
d’une énorme indemnité pour compenser la perte de ses propriétés et de celles
de ses frères dont tous les enfants avaient été massacrés. Abdallah lui fit
verser la somme exigée et le dernier des Banu Khaldun quitta sans regret
al-Andalous.
S’agissant d’Ibrahim Ibn Hadjdjadj,
le monarque consulta son hadjib. Saïd Ibn Mohammad Ibn al-Salim lui dit :
— J’ai beaucoup réfléchi à
cette question et j’ai pris, sans te consulter, certaines décisions. J’ai fait
enlever son fils aîné, Abd al-Rahman, auquel il est très attaché. Par mes
espions, je sais qu’il est mort d’inquiétude. Il croit que le jeune homme est aux
mains de Walid Ibn Khaldun et celui-ci, avant de s’embarquer pour Tingis, a
bien voulu écrire une lettre menaçante en ce sens à ce chien d’Ibrahim. Nous
avons ainsi un moyen de pression très efficace sur lui. De plus, sa nomination
comme wali peut paraître normale puisqu’il a épousé la veuve de ton frère. Le
peuple pensera que c’est là ton cadeau de mariage. Quand il aura reçu la
confirmation de son titre, il pensera en avoir fini avec nous. Nous lui ferons
alors savoir que Walid Ibn Khaldun nous a remis son fils et que celui-ci est
désormais notre otage. Il répondra sur sa vie des actes de son père. Tu peux
être sûr qu’il comprendra l’avertissement.
— Que vaut cet Abd al-Rahman
Ibn Ibrahim Ibn Hadjdjadj ?
— Je lui rends visite chaque
jour et je puis t’assurer que c’est un jeune homme charmant. Il a reçu une
excellente éducation et il est plutôt rêveur et réservé. J’ai cru deviner qu’il
avait modérément apprécié le remariage de son père et qu’il n’était guère
pressé de repartir pour Ishbiliyah. Il préfère, de loin, demeurer à la cour où
il a beaucoup à apprendre.
— Peut-on lui faire
confiance ?
— Oui et non.
— Pourquoi cette réponse
ambiguë ?
— C’est un être loyal. Jamais
il n’acceptera de porter les armes contre son père ni de tremper dans une
conspiration contre lui. De la même manière, il se considère comme ton dévoué
sujet et si Ibrahim Ibn Hadjdjadj tente de se servir de lui pour t’espionner ou
pour te nuire, il sera, j’en suis sûr, le premier à m’en prévenir.
— Je le tiens plutôt pour un
être rusé qui sait admirablement dissimuler ses sentiments.
— Je m’attendais à cette
objection. Je l’ai mis à l’épreuve en prenant, je te l’avoue, d’énormes
risques. Lorsqu’on l’a conduit devant moi après son enlèvement, je lui ai dit
que je pouvais le faire enfermer dans un cachot du Dar al-Bagiya, mais que
j’étais prêt à le loger chez moi, certes sous bonne garde, s’il me donnait sa
parole d’honneur qu’il ne chercherait pas à fuir. Il a prêté serment sur le
saint Coran. J’ai fait en sorte qu’il ait, à plusieurs reprises, la possibilité
de s’évader et je te garantis que d’autres auraient profité de l’occasion. Il
n’ignorait pas que la voie était libre. Il a préféré ne pas violer son serment.
— Je comprends mieux le sens de
ta réponse. Que comptes-tu faire de lui ?
— Continuer à l’observer et, si
mes pressentiments se confirment, je te proposerai de lui trouver un emploi qui
risque fort de te surprendre. Mais il est encore trop tôt pour en parler…
Ibrahim Ibn Hadjdjadj reçut avec
satisfaction la confirmation de sa nomination comme wali. Il ne cacha pas sa
colère quand il apprit que son fils aîné était retenu en otage à Kurtuba
où – comme un messager le lui laissa clairement entendre – sa vie
tenait à un fil. Le chef arabe savait ce dont l’émir était capable et se
comporta en apparence comme un serviteur dévoué d’Abdallah, bien que tous les
fonctionnaires aient été chassés de leurs emplois et remplacés par des
individus à sa solde. Pour assurer sa sécurité, il leva un détachement de cinq
cents cavaliers et recruta plusieurs centaines de fantassins et d’archers avec
l’aide desquels il réprima impitoyablement les soulèvements des chefs locaux
qui persistaient à ne pas reconnaître son autorité. Pour financer ces
expéditions, il créa des ateliers de tissage de tiraz, d’étoffes de soie
brodées à son nom. Nul ne fut autorisé à paraître devant lui s’il ne portait
l’une de ces tuniques d’apparat que les intéressés payaient un bon
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